Baudelaire se considère comme un alchimiste qui transforme la laideur du réel en beauté : « J’ai pétri de la boue et j’en ai fait de l’or », écrit-il dans son poème « Orgueil ». Le poète se doit de transformer le réel par le verbe, en en extrayant la quintessence.
Contents
- 0.1 Comment Baudelaire Transforme-t-il la laideur en beauté dans une charogne ?
- 0.2 Comment Baudelaire peint la beauté du monde ?
- 1 Quels poèmes évoquent la laideur quelle est l’intention de Baudelaire ?
- 2 Qu’est-ce que l’esthétique baudelairienne ?
- 3 Quel poème évoque la beauté dans les Fleurs du Mal ?
- 4 Quelle image Baudelaire Donne-t-il de la beauté dans ce poème ?
- 5 Quelle image Baudelaire donne du soleil ?
- 6 Quelle image Baudelaire donne de la ville ?
- 7 Est-ce que c’est beau quand le poète parle du laid ?
- 7.1 Quel est le message de Baudelaire dans Les Fleurs du Mal ?
- 7.2 Quel est l’intention de Baudelaire dans le poème au lecteur ?
- 7.3 Comment Baudelaire voit le monde ?
- 7.4 Quelle image Baudelaire Donne-t-il de la beauté dans ce poème ?
- 7.5 Comment Baudelaire transforme la boue en or dans l’Albatros ?
- 7.6 Quelles figures incarnent le mal la laideur morale dans Les Fleurs du Mal ?
Comment Baudelaire Transforme-t-il la laideur en beauté dans une charogne ?
Commentaire d’Une Charogne de Baudelaire – La Boîte à Bac Commentaire composé De nombreux poètes considèrent être des visionnaires, des hommes qui peuvent déceler des vérités cachées derrière les apparences, la beauté derrière le vulgaire. C’était le cas de Rimbaud, qui, par ses Illuminations voulait révéler le monde à ses lecteurs ; c’était aussi le cas de Baudelaire.
Homme du XIXe siècle, poète original, au carrefour du Romantisme et du Parnasse, dont la plume inspirera les Symbolistes. Personnage mélancolique, suicidaire, perçu comme un débauché, il cherchait à transformer, sublimer, sa mélancolie en Beauté. Ainsi, dans son recueil Les Fleurs du mal, publié en 1857, il fait de nombreuses références au Spleen, un sentiment de mal-être sans cause apparente, spleen qui s’acoquine avec la Beauté pour lui permettre de se rapprocher de l’Idéal, si dur à effleurer.
Ce recueil fut condamné pour outrage à la morale publique et plusieurs de ses poèmes en furent retirés. Une Charogne ne fait pas partie de ces poèmes, pourtant nous verrons que s’y glissent des références qui auraient pu être perçues comme indécentes.
- Cette œuvre évoque le souvenir d’une promenade en forêt, entre Baudelaire et sa bien-aimée, durant laquelle ils croisèrent une charogne qui plongea le poète dans une réflexion sur la mort et la laideur.
- Comment l’artiste transforme-t-il la laideur humaine et naturelle en une beauté éternelle ? Après avoir observé l’assimilation de la charogne à la vie, nous analyserons le lyrisme ironique du poème avant d’évoquer ses réflexions concernant son activité créatrice.
Le poète fait de la décomposition de la charogne une étape qui permet la renaissance de la vie. Si les références à la mort sont crues, c’est pour mieux l’insérer dans le cycle de la nature. Des termes péjoratifs sont associés à la charogne ; elle est infâme (v.3), horrible (v.38).
Les différentes phases de sa décomposition sont présentées avec minutie : d’abord brûlante et suante de poisons (v.6) -donc tout juste morte- elle pourrit (v.9) pour devenir une carcasse (v.13), un squelette (v.35) et enfin des ossements (v.44). Plusieurs sens sont employés pour la décrire : la vue (grâce aux termes vus précédemment) et l’odorat : exhalaisons (v.8), putride (v.17), puanteur (v.15).
Cette précision et cet emploi de la vue et de l’odorat nous en offrent une image très précise, rendant la scène vivace : c’est une ekphrasis 1, Ces précisions insèrent la charogne dans le cycle de la nature, Tout d’abord, elle est aperçue lors d’une promenade, décrite à la première strophe.
Le poète fait référence à l’eau, au vent (v.26) et à la terre (vers 43), on pourrait même associer les exhalaisons à l’élément feu. Baudelaire est ainsi entouré des quatre éléments traditionnels de l’alchimie : l’eau, le feu, l’air et la terre. Cette charogne est rendue à la nature qui s’en nourrit. On le constate par l’hyperbole 2 du vers 11 « rendre au centuple à la grande Nature ».
Le soleil, généralement associé à la vie, s’occupe ici de la cuire (comparaison v.9 et 10), afin de la préparer à être ingérée par les animaux. Ceux-ci sont très présents : tour à tour mouches (v.17), larves (v.19) puis chienne (v.33) viennent s’en repaître (nourrir).
- Pour rendre plus impressionnante cette vie qui se nourrit de la mort, l’auteur, par une métaphore 3, assimile les larves à un bataillon (vers 18).
- À la sixième strophe, vers 21 à 24, le poète rend la vie à cette charogne : par l’action des insectes charognards, le corps s’enfle d’un souffle vague (v.23), descend et monte.
Il semble par cette strophe faire des références à l’acte sexuel, source de vie : les larves montent et descendent, le corps s’enfle et crée des vies multiples (v.24), les larves – blanches – coulent comme un épais liquide : la semence masculine ? Ainsi une description qui paraît horrible devient une source de vie, par l’action de la nature et sous la plume du poète.
- De même, il peut transformer une belle scène en terrible offensive.
- Par un lyrisme ironique, le poète rend un hommage à sa bien-aimée en l’associant à une charogne et produit un memento mori 4 qui annonce la fin de leur amour.
- À première vue, bien que le poème concerne principalement une charogne, le poète en profite pour rendre hommage à sa compagne.
Il emploie des superlatifs 5, elle est « mon âme », vers 1, la reine des grâces (v.41) ; le poème lui est adressé dès le premier hémistiche 6 : « Rappelez-vous », il lui déclame son affection par des interjections, qui commencent par des « ô » v.41 et 45 et sa passion s’exprime par des points d’exclamation aux vers 40 et 45.
- Par un parallélisme 7 au vers 39, il la fait briller de jour comme de nuit (elle est son soleil et son étoile).
- Il est donc particulièrement lyrique.
- Cependant, un premier élément étonne.
- Il associe bien le « je » au « tu », ce qui correspond à l’adresse lyrique des poèmes d’amour mais il inverse cette tradition.
Habituellement, le « je » et le « tu » sont d’abord séparés, puis le poète les associe en un « nous » qui exprime leur union. Ici, ils sont d’abord « nous » au vers 1, puis il sépare le « tu » et le « je ». À part au premier vers, seul le vers 45 les associe, par un article possessif : « ma », qui donne l’impression qu’il cherche à la posséder plus qu’à l’aimer.
Ainsi, une distance se forme entre le poète et sa bien-aimée, En revanche, il semble associer la charogne à cette femme, Cette charogne a les caractéristiques d’une femme sensuelle. Le poète compare sa position à celle d’une « femme lubrique » (vers 5). Par une métaphore 3, il compare le sol où se trouve la charogne à un lit (v.4), la charogne « ouvre son ventre », offre donc l’accès à son corps (v 7 et 8) et nous avons déjà constaté l’épais liquide des larves, vers 19, le « long de ces vivants haillons ».
Cette charogne féminine et lubrique pourrait être une représentation, peu agréable, de celle qui lui tient compagnie. Cela se confirme par plusieurs rimes, par lesquels il donne des connotations péjoratives à sa compagne : « mon âme » rime avec « infâme » (v.1 et 3), « reine des grâces » est lié à « grasse » (v.41 et 43).
Il emploie des diérèses 8 aux sons désagréables dans des passages qui la concerne : « épanouir/évanouir » v.14 et 16, « infection/passion » vers 38 et 40. Ainsi, son lyrisme cache de l’ironie. De même, le memento mori est plus qu’un rappel classique de la mort afin de profiter de la vie. Dans une charogne, la mort, sale, est associée à leur amour,
Ici, la mort n’est pas belle, elle est une charogne. Cette charogne, après sa mort, sera une ordure (v.37), elle va moisir (v.44) et sera dévorée par la vermine (v.45). On peut émettre l’hypothèse que la mort représente la fin de leur amour, à laquelle il se prépare.
- La vermine va la « manger de baisers » (v.46).
- Cette vermine peut être une métonymie 9 pour évoquer les futurs amants de sa maîtresse.
- Leur amour sera décomposé (v.48), une association étonnante pour finir le poème, presque un oxymore 10,
- Ainsi, ce qui paraît être un poème lyrique autour d’une balade champêtre révèle une ironie grinçante alors que le poète semble se préparer à la décomposition de son amour.
Pourtant, Baudelaire par sa plume, peut offrir une beauté éternelle à toute chose, même cette relation condamnée. Il transcende la charogne et l’amour par son activité créatrice. Le poète peut embellir la charogne, Il lui offre un beau cadre, un matin d’été doux (v.3), il lui offre un lit, comme on offrirait une sépulture (une belle tombe) à un proche (v.4).
Par un oxymore 10, il en fait une « carcasse superbe », qui est comparée à une fleur qui s’épanouit (V.14). Le corps pétille (vers 22 à 23) et nous avons constaté, surtout, que la charogne permet à la nature de se renouveler et de créer une nouvelle vie. De même, il embellit la charogne de son amour : alors qu’il pense la relation vouée à l’échec, il offre du lyrisme à sa belle.
Mieux encore, l’art la rend éternelle, La strophe huit est une évocation de l’activité artistique, c’est une métaphore du peintre, S’y trouve le champ lexical de la peinture : « ébauche », « toile », « artiste », « formes ». Celui-ci, par ses souvenirs, trace les formes qui s’effacent.
Baudelaire exprime ainsi l’idée que l’art et surtout le génie de l’artiste permettent de transcender l’effacement de la vie, car il rend aux choses leur forme originelle. Il fait même mieux. Au vers 47 et 48, il exprime : « j’ai gardé la forme et l’essence divine de mes amours décomposés ». Se faisant, il montre que l’art n’est pas seulement la conservation des formes, l’art conserve l’essence, l’âme des choses, et les transcende : ainsi l’essence d’un amour, même décomposé, devient divine.
Le poète met aussi le monde en musique : à la 7 e strophe, il évoque l’ensemble des sons de la nature et d’un homme qui vit proche de la nature, un vanneur 11, Quand il évoque le « mouvement rythmique » de celui-ci, il est possible que ce soit en référence à ses propres créations : la poésie fait rejaillir la musique du monde.
De même que le vanneur, dans son van, nettoie le blé, le poète nettoie le monde de sa laideur et en sélectionne le meilleur grain. Ainsi, Baudelaire évoque des éléments laids : une charogne, un amour qui s’évapore, une femme qu’il juge cynique, la mort. Mais il leur confère de la beauté : le rythme et la musicalité de la poésie, les analogies qui vont jaillir vie et beauté de la charogne et qui ne conservent que l’essence divine d’échecs consommés.
Baudelaire, aux prises à un certain Spleen, par la Beauté, cherche à le transformer dans sa quête d’Idéal ; C’est dans un état de profonde détresse que le poète peut voir la beauté présente en toute chose, et c’est en observant cette beauté que le poète peut se rapprocher de la perfection,1.
Ekphrasis : description précise et très détaillée qui cherche à rendre vivace le sujet.2. Hyperbole : Elle consiste à exagérer l’expression d’une idée ou d’un sentiment.3. Métaphore : Une Mise en relation d’un comparé et d’un comparant sans outil de comparaison.4. Memento Mori : en latin, signifie littéralement : « souviens-toi la mort », c’est-à-dire : n’oublie pas que tout peut finir bientôt, y compris ta propre vie.
Un memento mori est une œuvre qui rappelle notre mortalité.5. Superlatif : des mots ou expressions qui servent à placer une personne ou un acte au-dessus du reste (exemple : « Nul n’a jamais été aussi fort »).6. Hémistiche : une moitié d’un vers avec césure.
- Exemple : Le roseau qui frémit, au bord d’une onde pure ( Chateaubriand – Invocation ) 1 er hémistiche 2 e hémistiche 7.
- Parallélisme : Répétition de la même construction de phrase entre deux parties de phrase, deux phrases ou deux vers.8.
- Diérèse : Dans une œuvre en vers, une diérèse consiste à prononcer en deux syllabes ce qui se lirait normalement en une seule.
Exemple : prononcer pa-ssion pas-si-on, na-tion na-ti-on.9. Métonymie : Figure de style par laquelle le comparant prend la place du comparé dans une phrase.10. Oxymore : Rapprochement de deux termes opposés afin de créer une nouvelle idée, étonnante.11.
Vanneur : la personne qui vanne le grain, c’est-à-dire qui le passe dans son van afin de le nettoyer et de conserver les meilleurs grains. Crédits Analyse : Tanguy Gaudeul Illustration : Etalage de gibier mort, Weenix, Jan-Baptist, Peintre, Entre 1621 et 1661, Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris.
Copyright CC0 : Commentaire d’Une Charogne de Baudelaire – La Boîte à Bac
Quel poème de Charles Baudelaire met en scène un objet d’une grande laideur pour en souligner toute la beauté ?
Le reflet de la condition du poète – Le poète se reconnaît dans la condition de ces vieilles femmes, non seulement en tant qu’être humain, mais aussi parce qu’il voit en elles des figures déchues, Il les présente en effet comme des héroïnes que lui seul sait reconnaître. À retenir Baudelaire reconnaît sa propre laideur et sa propre infirmité. Il se dépeint lui-même à travers ces sujets bas, afin de toucher à une vérité qui lui semble universelle : l’imperfection de l’homme. Les vers « Nul ne vous reconnaît ! » (v.66), « nul ne vous salue » (v.71) font nettement écho au poème « L’Albatros » dans lequel l’oiseau méprisé incarne le poète non-reconnu et rejeté par ses contemporains, « exilé sur le sol au milieu des huées »,
- Cette identification du poète aux « petites vieilles » est clairement lisible dans l’apostrophe de la dernière strophe « ô cerveaux congénères ! » (v.81).
- Le poète est celui qui sait voir le Beau et l’Idéal dans la banalité et la laideur de la réalité.
- Ce rôle privilégié, qu’il compare à celui d’un « père » (v.75), Baudelaire le revendique.
Ainsi, « celui que l’austère Infortune allaita » (v.36), pour qui « ces yeux mystérieux ont d’invincibles charmes » (v.35), c’est lui-même. Par son regard et ses mots, les « petites vieilles » sont transfigurées : « Toutes m’enivrent » (v.41), « jusqu’au ciel » (v.44), « ô merveille ! » (v.76).
- Conclusion : Dans Les Fleurs du mal, Baudelaire guide son lecteur avec des évocations toujours plus noires et intenses de la laideur quotidienne du monde moderne.
- « Les petites vieilles » nous plonge dans la laideur dégagée par les grandes villes.
- Aux antipodes de la nymphe aux formes harmonieuses, le poète dépeint des vieilles femmes monstrueuses.
À travers ce portrait abominable se lit l’absurdité de notre condition humaine dont l’issue se trouve être la mort, irrémédiable. Seul le poète, qui se reconnaît dans le rejet dont elles sont victimes, peut voir et montrer la beauté de leur vie passée et de leur humanité.
« Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or », écrit Baudelaire dans l’épilogue des Fleurs du mal, C’est ainsi qu’il définit cette esthétique moderne prenant pour objet poétique la laideur et l’horreur banale de la réalité urbaine. Les Petits Poèmes en prose pousseront cette esthétique encore plus loin, jusqu’à remettre en cause la forme versifiée elle-même.
Comme dirait Rimbaud : « Les inventions d’inconnus réclament des formes nouvelles »,
Comment Baudelaire transforme la boue en or ?
Parcours : réflexions sur « Alchimie poétique : la boue et l’or » – L’alchimie est une science du Moyen Âge, tandis que l’expression « boue et or » est un extrait d’un poème de Baudelaire. Le parcours invite à réfléchir sur une idée importante pour Baudelaire et de nombreux poètes du XIX e siècle : comment créer de la beauté à partir de la laideur.
L’alchimie est une science ésotérique qui s’est développée au Moyen Âge. Le processus a pour but de percer les secrets de la matière pour transformer un métal vil en métal précieux. Dans une perspective métaphorique, l’alchimie permet au poète de déchiffrer les secrets de l’Univers grâce au pouvoir des mots et du langage.
La deuxième partie de l’intitulé du parcours « la boue et l’or » vient d’un vers de Baudelaire. En 1857, il écrit dans l’esquisse d’un poème : « J’ai pétri de la boue et j’en ai fait de l’or » (« Orgueil », Les Fleurs du Mal ). Puis, dans un projet d’épilogue pour la deuxième édition du recueil Les Fleurs du Mal en 1861, le poète s’adresse ainsi à Paris : « Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or ».
le mal moral car le vice et le sadisme hantent les hommes ; le mal physique car le corps et les nerfs du poète souffrent des douleurs insupportables ; le mal métaphysique car l’âme est angoissée par l’absence de Dieu mais elle est pourtant assaillie par le tourment du péché.
Pour métamorphoser cette boue en or, Baudelaire en fait un sujet de poésie. La sensibilité du poète et sa volonté créatrice l’amènent à porter un nouveau regard sur les objets les plus abjects. L’intitulé du parcours invite à se poser diverses questions :
Faire œuvre de création, est-ce porter un nouveau regard sur un sujet ? Comment la voix du poète invite-t-elle le lecteur à porter un nouveau regard sur un sujet ? Y a-t-il une beauté propre au mal ? Comment la métaphore de la boue et de l’or explique-t-elle le principe de création poétique ?
II
Comment Baudelaire peint la beauté du monde ?
Une Reine impitoyable – Un sphinx (Musée archéologique d’Athènes, Wikipédia) La deuxième strophe introduit une dimension supplémentaire en présentant la Beauté comme une déesse qui « trône dans l’azur ». Elle est une reine impitoyable, La comparaison à un « sphinx incompris » souligne le sentiment d’étrangeté que ressentent ceux qui la considèrent.
- Pour Baudelaire, la beauté a quelque chose d’énigmatique.
- Dans la mythologie grecque, le sphinx était un « m onstre fabuleux (né de Typhon et d’Échidna), à tête et buste de femme, à corps de lion et ailes d’aigle, qui proposait des énigmes aux passants près de Thèbes, et qui dévorait ceux qui ne parvenaient pas à les résoudre » ().
Le vers « J’unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes » évoque une beauté froide, marquée par la pureté de la couleur blanche. Là encore, la conception de la Beauté qui s’en dégage n’est pas celle d’une beauté accueillante et source de plaisir, mais une beauté austère, qui fascine.
- Le cygne est un animal d’une beauté évidente, mais qui ne peut être considéré comme un animal chaleureux ou familier.
- C’est une beauté qui reste à distance, que l’on admire de loin, qui demeure inaccessible.
- De même, en associant la neige au « cœur », Baudelaire efface ce que ce dernier terme pourrait avoir de chaleureux ou d’accueillant.
En affirmant « Je hais le mouvement qui déplace les lignes », la Beauté fait l’éloge d’une immobilité marmoréenne qui serait pour elle le seul véritable modèle de la beauté. Le mouvement est dispersion, changement, et ne peut donc convenir à une Beauté qui se veut éternelle, immuable.
- Les lignes de la Beauté doivent être figées.
- La Beauté poursuit : « Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris ».
- Cela se comprend : le rire comme les larmes déforment les traits du visage.
- Il suffit de regarder un défilé de mode à la télévision pour se rendre compte que les mannequins arborent généralement une expression neutre, la seule capable de figer la beauté sans la déformer dans un rictus.
La Beauté a un masque impassible.
Quels poèmes évoquent la laideur quelle est l’intention de Baudelaire ?
La boue et l’or comme beauté et laideur – La femme aimée et sa beauté sont une source traditionnelle d’inspiration poétique. Le poète lui rend hommage dans des blasons (Clément Marot) ou dans des poèmes qui célèbrent la femme et qui chantent l’amour (Ronsard, Du Bellay).
Senghor, dans Chants d’ombre, utilise la femme noire et sa beauté pour faire l’éloge des merveilles du monde et de la terre d’Afrique. Aragon fait d’Elsa une déesse et Musset rend un hommage posthume à la cantatrice la Malibran ( Poésies nouvelles ). La laideur devient objet poétique (« Une charogne » de Baudelaire).
Elle peut être celle de la vieillesse, comme celle d’Hélène chez Ronsard, ou celle de la mort dans La Ballade des pendus de François Villon. Mais la laideur n’est pas un spectacle gratuit car sa mise en scène peut révéler l’instabilité du monde et la vanité de la condition humaine, notamment dans la poésie baroque.
Les transformations bouleversantes du monde moderne peuvent également être source de tumulte et de chaos intérieur. Ainsi s’exprime une vision négative de la vie dans Les Chants de Maldoror de Lautréamont, ou une vision négative de soi-même dans « Le Crapaud » ( Les Amours jaunes ) de Tristan Corbière.
Le poète y renverse l’image traditionnelle du poète en le transformant en crapaud, animal peu majestueux.
Comment Baudelaire sublime la boue ?
L’alchimie dans les Fleurs du Mal : parcours thématique de la boue à l’or – Mot à mot Quel rapport entre l’alchimie, cette pratique qui peut s’apparenter à de la magie et qui transforme le plomb en or et l’alchimie poétique ? Tout d’abord l e poète apparaît comme un magicien ; celui qui a le pouvoir de changer ce qu’il voit, de transformer la boue en or, le laid en beau, le Mal en Fleur, L’alchimie est d’abord présente dans le recueil sous plusieurs formes
- avec le titre de certains poèmes comme Alchimie de la Douleur, par exemple, un sonnet de Spleen et Idéal, Le poète y révèle que la douleur règne sur son imagination et qu’elle le transforme en celui qui change “l’or en fer ” et le paradis en enfer” ; il se compare au ” plus triste des alchimistes “, L’alchimie à laquelle fait référence Baudelaire fonctionne donc ici à l’inverse de la magie, On peut parler d’une alchimie inversée,
- Le terme alchimie renvoie également au domaine de la magie et des sciences occultes et on trouve dans les FDM une série de références à des créatures fantastiques : l’alchimie est une sorte de trait d’union entre le monde visible et le monde invisible peuplé de créatures telles que les fantômes, les revenants, les spectres, le Diable et toutes ses incarnations et les figures féminines des sorcières et autres succubes, Le poète est celui qui est en relation avec ce monde fantastique qui peuple son imaginaire et qu’il s’emploie à faire renaître sous sa plume. Il est celui qui permet les Correspondances entre les mondes,
- L’alchimiste c’est surtout celui qui est capable d’opérer la transformation de ce qui est en quelque chose de nouveau, de différent et à ce titre, toute création poétique, artistique, peut s’apparenter, au sens large à une sorte d’alchimie car elle transforme ce qui est vil en ce qui est noble, et nous enchante en créant des associations sonores et verbales, La poésie transfigure le quotidien et nous met en relation avec les secrets du Monde : le poète est, à la fois celui qui comprend d’autres langages, celui des choses inanimées, de la Nature et des puissances invisibles et celui qui invente un langage magique, mystérieux, réservé à des initiés, une véritable “sorcellerie évocatoire ” ; Qui de la boue ou de l’or l’emporte dans Les Fleurs du Mal ?
De la boue à l’or : une forte présence de la boue
a) Les images de la boue semblent dominer largement le recueil : la boue est une matière qui nous ramène sans cesse à son origine; Mélange d’eau et de terre, elle rappelle à l’homme qu’il est une créature née de la fange et qu’il est mortel; son corps finira dans la terre et le caveau comme le souligne Baudelaire dans de nombreux poèmes où il associe la figure du trou dans la terre, de la flaque de boue, à la misère de la condition humaine; Par extension, la boue va désigner l’ensemble des malheurs ; pauvreté, misère et honte qui s’abattent sur l’homme : “la terre est changée en un cachot humide “: la prison du Spleen c’est également celle de l’âme prisonnière du corps, de l’Esprit soumis à la matière.
- Dans Paysages parisiens, la boue devient synonyme de tout ce qui est sordide, trivial dans le monde quotidien ; ainsi Paris devient une ” cité de fange” et les chiffonniers ramassent dans leurs chariots, toutes les ordures de la ville :les pierres et la boue.
- Rien d’étonnant à ce que la boue devienne alors parfois synonyme de souillure et d’excrément : Baudelaire amalgame toutes les impuretés pour obtenir un magma répugnant, assemblage des vices et du Mal ; l’homme chassé du Paradis à cause de ses péchés, se débat, en Enfer, dans un ” Styx bourbeux et plombé “,
Car la boue peut ensevelir la créature et l’empêcher de s’enfuir ; elle est souvent associée à ce qui pèse comme le plomb, ce qui écrase l’Homme. A l’image de Caïn, le premier meurtrier, l’humanité doit vivre dans la boue, vouée au malheur : ” Race de Caïn, dans la fange, rampe et meurs misérablement ” Elle pèse, alourdit, écrase et empêche toute forme d’élévation et d’envol vers un Idéal La boue semble donc omniprésente dans le recueil, à la fois sous sa forme organique mais essentiellement sous sa forme morale, qui en découle directement ; Englué dans la boue, la créature a bien du mal à s’élever et la boue va accompagner le Spleen qui, lui aussi naît d’une alchimie de la douleur et des idées noires, b) Le désir constant de trouver l’or : un thème central : l’or c’est d’abord ce qui brille et qu’on rêve d’atteindre donc par certains aspects, l’or peut faire penser à l’Idéal, mais c’est aussi le Soleil, la Lumière et une certaine idée du Bonheur et de la Beauté, La lumière dorée,nous la retrouvons notamment dans l’amour qui lui aussi peut contenir des paillettes d’or que le poète recueille dans les yeux de la femme; Lorsque la Beauté lui apparaît, elle prend la forme d’une statue géante et il contemple ” les clartés éternelles ” de ses larges yeux; Pour Baudelaire, la Beauté renferme donc l’or et le but de l’artiste est de parvenir à l’extraire, à le matérialiser au moyen de mots,
L’amour renferme également une part de lumière mais parfois, dans les yeux de la femme se cache, mêlé à l’or, le fer, comme dans le Serpent qui danse ; les yeux de la femme sont souvent comparés à deux bijoux froids quand elle est indifférente par exemple, L’amour n’est donc pas une source d’or pur et peut receler des dangers qui l’apparentent au mal et le rapproche parfois de la boue,
Le poète multiplie donc, tout au long des sections du recueil, les tentatives pour trouver cet or et cette lumière ailleurs que dans l’amour; Il s’inspire souvent de la Nature avec les paysages qu’il sublime : les multiples soleils illuminent les chemins bourbeux mais leur lumière se voile souvent d’un crêpe noir qui rappelle le deuil et leurs trouées de lumière sont éphémères car le fond du paysage reste gris et sombre ; Une dernière voie s’ouvre à l’artiste : celle de l’idéal ; le poète s’efforce d’accéder à une forme d’évasion spirituelle mais il ne parvient pas à atteindre cette lumière magique qu’il entrevoit ? Baudelaire, cherche à traduire cette lueur mystique, celle qui accompagne la musique des sphères, celle qui accompagne, comme dans le Voyage, ” un ange enivré d’un soleil radieux ” ; Cette lumière qui, à l’approche de la mort, fait naître dans le cœur de l’homme ” une ardeur inquiète” ; En découvrant ” la gloire du soleil sur la mer violette” et “l a gloire des cités dans le soleil couchant”, l’homme se sent appelé vers l’Ailleurs ou l’Au delà ; cette vision extatique reflète le sentiment profond de l’homme confronté à l’Inconnu ; Baudelaire atteint ici une dimension métaphysique dans son dernier poème du recueil : Le Voyage qui met fin à l’histoire de cette âme qui rencontre enfin la mort ” ce vieux capitaine ” c) Sa quête n’est- elle pas vouée à l’échec? On trouve donc dans Les Fleurs du Mal, un puissant désir de se rapprocher de cette lumière, de la conquérir et de s’y réfugier pour échapper au Spleen, Cependant cet idéal paraît parfois hors de portée, Par exemple, le poète cherche à extraire l’or du temps comme il le rappelle dans L’horloge mais ce dernier ne le laisse jamais triompher ; Les tentatives de fuir le Spleen au moyen du voyage paraissent une voie plus sûre mais, à certains moments, même le voyage lui apparaît comme un Eldorado, c’est à dire un pays qui n’existe pas vraiment et auquel on doit se contenter de rêver sans jamais pouvoir l’atteindre, un peu comme une sorte de mirage ” un songe d’or ” précise le poète,
L ‘or accompagne souvent les visions mystiques mais les ” brillants soleils ” sont fugaces comme dans l’Ennemi où le Temps finit par manger la vie ; Si le poète parvient parfois à tirer un soleil de son cœur, il montre souvent le soleil qui rayonne sur la pourriture ou la lampe qui éclaire le taudis et révèle la misère,
La véritable Lumière est au ciel et le poète n’en capte que l’idée, qu’un rayon éphémère, qu’un simple reflet, Souvent le poète apparait comme dans l’Irrémédiable ” un “malheureux ensorcelé “qui, dans ses tâtonnements futiles cherche, en vain ” la lumière et la clé ” ; En effet, cette clé associée à l’illumination, permet d’ouvrir les portes d’un autre monde, celui des esprits, de la création et de la beauté pure,
Un endroit irréel et rêvé où ” là tout n’est ordre et beauté, luxe calme et volupté ” Mais cette invitation au voyage mène le plus souvent à la mort, cette dernière source de Lumière dans laquelle l’homme s’endort après avoir longtemps ” comme un vieux vagabond, piétiné dans la boue tout au long de son existence.
La Mort devient ainsi une sorte de lumière au bout du tunnel comme dans les illuminations des mystiques, Cette vision ésotérique cadre bien avec la science des alchimistes et leur croyance que la pierre philosophale finira par transformer le plomb, le plus vil des métaux, en or pur.
La poésie, pour l’artiste, doit jouer le même rôle que cette pierre magique, Baudelaire nous fait partager dans le recueil Les Fleurs du mal son sentiment d’échec dans sa quête de l’or et la boue paraît recouvrir chaque pan de l’univers décrit ; Pourtant les poèmes multiplient les tentatives de recueillir des miettes d’or en chantant l’amour, la Beauté et l’Idéal ; le lecteur ne partage pas l’avis du poète car il lui semble qu’il a réussi, en créant cette œuvre, à illuminer notre quotidien avec la beauté de sa poésie,
: L’alchimie dans les Fleurs du Mal : parcours thématique de la boue à l’or – Mot à mot
Qu’est-ce que l’esthétique baudelairienne ?
Baudelaire : une esthétique de la modernité – Claude Stéphane PERRIN A. Prologue “Avant de rechercher quel peut être le côté épique de la vie moderne, et de prouver par des exemples que notre époque n’est pas moins féconde que les anciennes en motifs sublimes, on peut affirmer que puisque tous les siècles et tous les peuples ont eu leur beauté, nous avons inévitablement la nôtre.
Cela est dans l’ordre.” La modernité est inséparable d’une constellation d’autres concepts qui la contredisent sans qu’elle puisse se trouver au centre d’une possible constellation rassemblant tous les concepts suivants : l’antique, le médiéval, le renaissant, le contemporain, l’actuel, le neuf, le nouveau Pourquoi ? D’abord parce que les créations culturelles d’une époque sont inséparables de multiples influences anciennes, parfois récurrentes, qui font également surgir de multiples nouveautés.
Ensuite, parce que, dans son sens étymologique, moderne signifie ce qui est récent, et pas seulement ce qui succède au Moyen Âge ou à la Renaissance. Enfin parce que le moderne ne se borne pas à l’actuel ; il répond aussi à l’ancien et s’ouvre sur l’inactuel, donc sur l’éternel.
Concernant Baudelaire (1821-1867), en quoi sa modernité nous concernerait-elle encore aujourd’hui ? Notre monde postmoderne n’aurait-il pas remplacé les valeurs de l’humain par celles des sciences, des techniques, tout en déployant un insatiable et violent désir de possession, de communication abstraite ou virtuelle, de domination, d’exploitation et de consommation ? Sans doute.
Mais il n’est peut-être pas pertinent de penser l’actuel en oubliant l’inactuel, l’historique en faisant fi des repères permanents que créent la Nature (naturante, infinie), la Morale (qui inspire l’injonction d’être juste à l’égard de tous les hommes) et les sociétés (dans leur ouverture possible sur de nouveaux avenirs).
Dans cet esprit, Baudelaire nous permet d’entrevoir que l’ère postmoderne n’est peut-être pas la vérité de notre présent et pas davantage de notre avenir. Comment ? Sans doute en découvrant que ce poète s’est situé dans le cadre d’un sentiment religieux qui, hors de toute théologie ou révélation, se reconnaissait dans une optique humaine tournée vers des valeurs universelles, plutôt que vers celles, judéo-chrétiennes, de la prime culpabilité de tous les hommes.
En fait, plus précisément, dans son article sur la modernité, Baudelaire a associé sa propre affirmation singulière d’une modernité à la fois actuelle et inactuelle. Alors, il ne sépare pas sa dérisoire présence dans ce monde des misères particulières de son époque.
- Dans les deux cas, en effet, il s’agit pour lui de voir comment le mal, la bêtise, la finitude et l’éphémère ne sont pas des épreuves définitivement incrustées dans un moment historique, car ce dernier contient également une part d’éternité et d’inactuel.
- Cela implique, pour Baudelaire, de donner un sens à la modernité de son époque (et à lui-même ainsi qu’à son œuvre) sans en nier les tensions les plus éphémères, notamment en s’opposant à la bêtise de l’actuel, sans doute parce que cette bêtise est alors, selon les mots de Deleuze, ” une manière basse de penser.” Dans cet esprit, pour être ouvert et moderne, l’éphémère et le dérisoire sont transfigurés : “Il s’agit de dégager de la mode ce qu’elle peut contenir de poétique dans l’historique, de tirer l’éternel du transitoire.” Cette épreuve de la modernité se situe ainsi au cœur d’une tension singulière, très humaine sans nul doute, solitaire et rêvée, qui refuse d’en rester au “plaisir fugitif de la circonstance”, c’est-à-dire à la médiocrité ou à la vulgarité des situations fugaces d’une époque et d’une singularité seulement dominée pas la sottise d’une pensée collective.
Cependant, il n’est pas aisé de concevoir si, pour Baudelaire, la modernité se situe plutôt dans sa tension vers l’éternel que dans ses fondements transitoires, puisque l’éternel et l’éphémère sont pour lui entrelacés, donc inséparables, la force de l’un faisant peut-être rayonner la faiblesse de l’autre, tout comme en un bref instant surgi dans l’éternité.
Par exemple, l’habit d’une époque ne devrait jamais être démodable ; or cela est possible si cet habit contient une “beauté mystérieuse () si minime ou si légère qu’elle soit.” En conséquence, dans sa critique de l’art, comme dans sa poésie, Baudelaire aime se mettre au cœur des tensions de son époque tout en soulignant l’importance de son vécu très singulier qui oscille entre des pôles contradictoires.
Il a ainsi écrit Les Fleurs du mal dans la fureur et dans la patience, car cette tension était l’essence même de la conception de sa propre existence. Au-delà de Pascal qui méprisait le singulier, son imaginaire a sans doute eu pour fin de donner un sens supérieur à sa misère terrestre, du reste commune à tous les hommes.
- De plus, la modernité qui émerge de son époque sait bien que le pouvoir de refus de l’éphémère ne parvient pas à une victoire définitive sur les contingences de l’existence.
- La forte lucidité de Baudelaire élargit alors le champ actuel de ses possibles, admet la nature inextricable du réel, tout en restant rapportée au ciel immobile, lointain et éternel de l’idéal.
C’est alors sans doute dans cet esprit que le poète a, en un aphorisme devenu célèbre, imaginé un rapport vif et singulier entre l’éphémère et l’éternel : “La modernité, c’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable.” En tout cas, pour Baudelaire, la modernité ne s’oppose pas à l’antiquité ou au Moyen Âge, car elle est la recherche de la plus complète synthèse authentique du nécessaire et du contingent : “Cet élément transitoire, fugitif, dont les métamorphoses sont si fréquentes, vous n’avez pas le droit de le mépriser ou de vous en passer.
En le supprimant, vous tombez forcément dans le vide d’une beauté abstraite et indéfinissable, comme celle de l’unique femme avant le premier péché.” Cela implique que l’homme est alors reconnu dans sa grandeur, même inachevée, hors de toutes les formes préétablies, donc en excluant le formalisme de l’art pour l’art ainsi que le naturalisme positiviste qui se fixe sur des faits isolés, bruts, inhumains.
La vérité de la nature et de l’homme est donc ailleurs. Elle se trouve sans doute dans l’inextricable entrelacement de la fugacité et de la permanence, de la solitude et de la communion. Et la même double postulation est imaginée par le poète entre Dieu et Satan, l’homme et l’ange, l’azur lumineux et le gouffre ténébreux Le dualisme baudelairien est ainsi à la fois métaphysique et existentiel, car il affirme une constante tension entre le matériel et le spirituel.
L’âme exilée du poète vit en effet au cœur des cruelles épreuves de son corps décadent. Meurtrie, elle n’atteint ni Dieu ni Satan. Égarée, misérable, elle rêve de grandeur. Tantôt elle se détruit, tantôt elle s’attache à la vie. Comment équilibrer ces tensions ? Baudelaire cherche alors son chemin dans quelques fictions, notamment dans celles de l’histoire de l’art où rayonnent ses modèles préférés : Delacroix lui paraît exemplaire à cet égard ; Goya est plus effrayant, violent et hallucinant,
Le critique, comme le poète, aime en tout cas les profondeurs inquiétantes des uns et les tragédies des autres où l’homme se dédouble, entre Ciel et Enfer, Spleen et Idéal, élévation et chute. D’une part, son désir de modernité, né du Spleen et de l’ennui, nourrit son imaginaire qui n’en finit pas d’espérer vainement, d’autre part il se donne des formes nouvelles, un autre corps, et fait ainsi vibrer d’imprévisibles passions.
- Ou bien son grand dégoût de la vie se transforme pour raviver son âme qui attise alors son élan créateur afin d’entrevoir, ici et là, quelques correspondances, quelques synthèses possibles Cette double postulation de l’âme vers l’Idéal et vers l’ennui est donc une tension malheureuse qui ne parvient ni à quitter le sol pesant de l’éphémère ni à s’élever assez haut
- B. Une étrange créativité
- Une singulière tension
Le moi créatif de Baudelaire se réalise dans la difficile et paradoxale nécessité d’avoir à être soi-même, c’est-à-dire à devenir autre que ce qu’il avait auparavant constitué empiriquement comme son propre moi, notamment lorsqu’il était dominé par les situations les plus ordinaires, banales, voire médiocres.
- Et cette nécessité à être soi-même s’exprime dans la tension d’un rapport asymétrique entre son moi tendu vers sa propre perfection (son je en quelque sorte) et son moi psychologique multiple, souvent contradictoire, qu’il définit lui-même comme “son pauvre moi” () comme “sa ligne brisée”,
- Pour le dire autrement, cette tension singulière, sans doute en trompe-l’œil, s’effectue entre une visée spirituelle qui recherche une clarté intime, sa propre cohérence, sa responsabilité, sa simplicité et des épreuves sensibles qui déterminent un rapport complexe, passif et souvent inconscient avec la totalité brute du réel.
Les forces du Beau L’art est toujours métaphysique : « C’est l’infini dans le fini». Et jamais il n’atteint l’un ou l’autre, Dieu ou le diable, la terre ou le Ciel. L’imaginaire préfère les Limbes, ce premier titre des Fleurs du mal, La modernité triomphe dans ces échecs.
L’heure infinie, contenue dans les yeux des chats, reste immobile. Sournoise provocation pour l’homme qui n’en finit pas de faire sans finir : « En général, ce qui est fait n’est pas fini, et une chose très finie peut n’être pas faite du tout.» Cette conception de la modernité, pour Baudelaire, accepte le silence de l’inachevé.
Dès lors, les artistes pourront suivre cette voie, sur leur toile ou sur leur marbre. Au reste, la dissonance nourrit l’harmonie lorsqu’elle fonde l’étrange, le bizarre et l’inattendu : « Le beau contient toujours un peu de bizarrerie, de bizarrerie naïve, non voulue, inconsciente, et c’est cette bizarrerie qui le fait être particulièrement le Beau.» Alors surgit le corps nécessaire à l’imaginaire, le tracé impétueux qui exprime une subjectivité, une société, une époque.
Pour Baudelaire, le romantisme actualise ainsi une expression moderne du beau, intime et sensible, héroïque et colorée, dont les fondements spirituels restent classiques : « Qui dit romantisme dit art moderne, – c’est-à-dire intimité, spiritualité, couleur, aspiration vers l’infini, exprimées par tous les moyens que contiennent les arts.» Au cœur du quotidien, fini et inachevé, l’inattendu peut surgir.
Il s’agit parfois d’un détail trivial ou puissant qui vainc les niaises curiosités de l’existence. Ou bien la nostalgie de l’enfance se fait plus forte et provoque quelque ivresse. Et toujours la composition de l’œuvre doit surprendre par son originalité ou par sa vitalité.
Car Baudelaire pense sans doute qu’une création artistique doit refléter l’idiosyncrasie humaine, trop humaine, de son auteur : « Ce qui n’est pas légèrement difforme a l’air insensible – d’où il suit que l’irrégularité, c’est-à-dire l’inattendu, la surprise, l’étonnement sont une partie essentielle et la caractéristique de la beauté.
» Ne cherchons pas quelque anthropocentrisme narcissique dans cette affirmation, car Baudelaire est dualiste. L’image de l’homme renvoie en même temps aux horizons bleuâtres de l’air supérieur et à l’opacité d’un gouffre infernal. Par son refus du péché, l’esthétique de Baudelaire exprime une tension douloureuse entre deux forces excessives et infinies relativement à d’autres.
À la fois classique et romantique, le poète affirme tantôt l’innocence du comique surnaturaliste, du grotesque, c’est-à-dire du comique absolu relativement à l’humanité déchue, et tantôt il souligne les aspects damnables, sataniques, diaboliques, du comique ordinaire et significatif : «Il est dans l’homme la conséquence de l’idée de sa propre supériorité ; et, en effet, comme le rire est essentiellement humain, il est essentiellement contradictoire, c’est-à-dire qu’il est à la fois signe d’une grandeur infinie relativement à l’Être absolu dont il possède la conception, grandeur infinie relativement aux animaux.
C’est du choc perpétuel de ces deux infinis que se dégage le rire.» Moins convulsé, parce que moins naturel, le comique absolu, grave, profond, excessif et innocent, s’ignore lui-même, Le vertige de l’hyperbole résulte d’une création, d’une joie ancrée dans la supériorité de l’homme sur la nature,
Goya atteint parfois le comique absolu, mais il est surtout fantastique et souvent féroce, effrayant, hallucinant, entre l’homme et la bête, Toutefois, pour Baudelaire l’art domine et purifie la laideur, l’horreur et le monstrueux, comme le feu, L’idiosyncrasie d’un artiste contient, en réalité, un « je ne sais quoi » qui le pousse à créer, une foi qui l’empêche de douter et une passion qui fonde la reconnaissance des autres.
La «ligne brisée» de chaque moi rejoint alors le courant impérissable de la création artistique. La même force, le même sentiment et la même fidélité à sa propre nature se trouvent chez Delacroix, Constantin Guys, Poe, Goya, Daumier ou Manet. Artiste, Baudelaire comprend d’autres artistes.
- La musique de Wagner lui semble être la sienne, tous ont le même but : « ils ont employé des moyens différents tirés de leur nature personnelle.» C’est d’ailleurs cette nature personnelle qui crée tous les moyens nécessaires.
- Les uns dépendent de l’imaginaire, de sa liberté et de son pouvoir universel, les autres, plus relatifs au tempérament et à la sensibilité, varient à l’infini.
On reconnaît le dualisme baudelairien. L’originalité est corporelle, ultra-sensible pour l’essentiel : « presque toute notre originalité vient de l’estampille que le temps imprime à nos sensations.» L’esthétique reste ainsi tournée vers la modernité, c’est-à-dire vers l’amour de l’éphémère accompagné d’un rêve, plus classique, d’immensité.
Aussi lucide sur lui-même que sur son art. Baudelaire connaît ses limites : « De la vaporisation et de la centralisation du Moi. Tout est là.» Il aime d’ailleurs ces deux mouvements contradictoires qui sont les respirations de la vie. Parfois la tension des nerfs concentre les forces qui se referment sur elles-mêmes afin de mieux se formuler, et souvent le Moi veut être aussi vaste que le monde : « Mon âme me semblait aussi vaste et aussi pure que la coupole du ciel dont j’étais enveloppé ; le souvenir des choses terrestres n’arrivait à mon cœur qu’affaibli et diminué.» Toutefois, cette expansion et cette concentration ne sont pas équilibrées, régulières, prévisibles.
Baudelaire rêve d’un voyage paisible dans le monde beau et ordonné de l’éternité. Mais ses sentiments le poussent plus fortement à s’éprouver et à chercher en dehors de lui-même «le drame naturellement inhérent à tout homme.» Il y a toujours dualité dans le Beau : “C’est ici une belle occasion, en vérité, pour établir une théorie rationnelle et historique du beau, en opposition avec la théorie du beau unique et absolu ; pour montrer que le beau est toujours, inévitablement, d’une composition double, bien que l’impression qu’il produit soit une ; car la difficulté de discerner les éléments variables du beau dans l’unité de l’impression n’infirme en rien la nécessité de la variété dans sa composition.
Le beau est fait d’un élément éternel, invariable, dont la quantité est excessivement difficile à déterminer, et d’un élément relatif, circonstanciel, qui sera, si l’on veut, tour à tour ou tout ensemble, l’époque, la mode, la morale, la passion.” Certes, cette composition double de la beauté, qui produit une seule impression, n’empêche pas qu’une âme, incarnée dans une époque et un tempérament, puisse refléter la tristesse, la mélancolie et la lassitude de la précaire condition de l’homme.
Dès lors que l’absolu paraît absurde, impossible ou bête, les forces de l’âme ne peuvent en effet que s’harmoniser avec tous les malheurs : « Pauvre terre où la perfection elle-même est imparfaite.» En réalité, l’aspect éternel, invariable, absolu, et en même temps ardent et triste de la beauté, est sans doute grandement voilé par son aspect particulier, transitoire, relatif et circonstanciel.
- C. Le surnaturalisme
- Un amour sensuel et rêvé de l’idéal
- “La nuit s’épaississait ainsi qu’une cloison,
- Et mes yeux dans le noir devinaient tes prunelles,
Et je buvais ton souffle, ô douceur ! ô poison ! Et tes pieds s’endormaient dans mes mains fraternelles. La nuit s’épaississait ainsi qu’une cloison.” Le rapport de Baudelaire au monde naturel est complexe, car s’il ne refuse pas un nécessaire accord sensuel avec les êtres vivants (notamment avec les femmes) tout en cherchant à transfigurer cette relation sensible qu’il l’éprouve dans une constante tension entre jouissance et tristesse, perception et rêverie.
Le rapport que Baudelaire instaure avec la nature n’est donc pas, comme Sartre l’a affirmé, “truqué” à force d’être inspecté par une conscience attentive, il est véritablement vécu à partir des lignes et des couleurs d’un monde poétiquement rêvé par des accords qui embellissent les objets ; par exemple un visage de femme est devenu “l’objet le plus intéressant dans la société.” Pourquoi ? Sans doute parce que Baudelaire transforme la mystérieuse jouissance d’une perception en une mystérieuse rêverie qui souffre pourtant de sa propre finitude : “Une tête séduisante et belle, une tête de femme, veux-je dire, c’est une tête qui fait rêver à la fois, – mais d’une manière confuse, – de volupté et de tristesse ; qui comporte une idée de mélancolie, de lassitude, même de satiété, – soit une idée contraire, c’est-à-dire une ardeur, un désir de vivre, associés avec une amertume refluante, comme venant de privation ou de désespérance.” Le poète découvre ainsi une harmonie amère avec des apparences qui n’idéalisent pas totalement le naturel pour deux raisons : d’abord parce que “l’idéal absolu est une bêtise”, ensuite parce que “la nature ne donne rien d’absolu”,
L’idéal féminin est donc réduit à des images qui s’élèvent au-dessus du naturel, notamment lorsque, si l’on utilise des concepts freudiens, la magie d’un fantasme, d’une image refoulée, se fige dans une forme reposante, fascinante, c’est-à-dire idolâtrée : “La femme est bien dans son droit, et même elle accomplit une espèce de devoir en s’appliquant à paraître magique et surnaturelle ; il faut qu’elle étonne, qu’elle charme ; idole, elle doit se dorer pour être adorée.” Ce consentement de la femme au maquillage rend possibles les plus belles sublimations puisque l’idéal visé par Baudelaire n’est qu’un complément esthétique et non académique, donc la transfiguration des réalités naturelles, brutes, informes, en un style singulier, notamment par l’apport expressif de couleurs symboliques ou de lignes harmonieuses : “Ainsi l’idéal n’est pas cette chose vague, ce rêve ennuyeux et impalpable qui nage au plafond des académies ; un idéal, c’est l’individu, reconstruit et rendu par le pinceau ou le ciseau à l’éclatante vérité de son harmonie native.” La problématique esthétique que pose alors Baudelaire sur cet axe de la modernité renvoie à la possible vérité de cette “harmonie native”,
- “Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l’abîme,
- Ô beauté ! ton regard, infernal et divin,
- Verse confusément le bienfait et le crime.
- Et l’on peut pour cela te comparer au vin.”
- L’horreur et l’extase de la vie
Le culte baudelairien des images mélodieuses et amères de l’art pourra-t-il vaincre les longs ennuis morbides et cruels d’une existence aussi vide, plate et morne qu’un désert ? Le spleen, ce monstre délicat ou ce fruit d’une morne incuriosité, accompagne en fait les immenses traînées de la misère de chacun.
Au reste, la nature est primitivement “bête” dans sa chair et “cruelle” dans son conflit avec nos rêves. Comment la surmonter ? Et cette révolte existentielle est-elle encore pertinente pour notre postmodernité ? Non, car elle est bien moderne, c’est-à-dire encore éthique et métaphysique. En fait, Baudelaire est affreusement dégoûté, comme un chrétien conscient de sa triste misère, de son âme fêlée et de ses péchés têtus,
Le refus de la laideur, l’horreur de la bêtise et l’aveu de ses propres fautes constituent alors les fondements d’une esthétique du péché que la postmodernité ignore, notamment cette immortelle indignité qui appelle sa rédemption à partir d’une souffrance purificatrice :
- “Car c’est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage
- Que nous puissions donner ne notre dignité
- Que cet ardent sanglot qui roule d’âge en âge
- Et vient mourir au bord de votre éternité ! ”
Plus précisément, cette esthétique moderne du péché refuse paradoxalement le péché. Le Mal est une faiblesse coupable qui se fait pourtant “sans effort, naturellement, par fatalité.” Nul stoïcisme dans cette perspective biblique, car la nature est mauvaise.
Le péché originel l’a marquée au point de la réduire et de la priver de conscience : « Elle contraint l’homme à dormir, à boire, à manger, et à se garantir, tant bien que mal, contre les hostilités de l’atmosphère», Parce que le crime est originellement naturel, cette esthétique du péché refusé préfère fuir dans l’ivresse éphémère des images de l’art.
L’horreur de la nature impose d’ailleurs des abstractions. L’artiste devra donc vaincre de la pesante matière. La sculpture ennuie d’ailleurs lorsqu’elle évoque, brutale et positive, les effets ordinaires du monde perçu. Différemment, la photographie fige sur le métal une fausse exactitude.
Refuge des peintres manqués, il lui faudra « empiéter sur le domaine de l’impalpable et de l’imaginaire, sur tout ce qui ne vaut que parce que l’homme y ajoute de son âme », Et Nadar laissera dans cet esprit le regard de Baudelaire se perdre dans les déserts de l’ennui. Dans ces conditions, l’abstraction définit l’art moderne puisqu’il a décidé de sacrifier certains détails, d’imaginer pour généraliser, de transcender le sordide, de faire comme si tout était possible avec ou sans l’homme,
Certes une esthétique de la modernité n’atteint pas les cimes de l’idéal, mais rien ne les condamne : « L’enthousiasme qui s’applique à autre chose que les abstractions est un signe de faiblesse et de maladie.» Dès lors, les artifices de l’art ouvrent une voie nouvelle et indifférente aux laideurs de la nature.
- Au-delà du simple maquillage, créateur d’unité colorée, le culte des images produit alors la jouissance de la découverte de nouvelles apparences : «Très jeunes, mes yeux remplis d’images peintes ou gravées n’avaient jamais pu se rassasier»,
- L’anti-naturalisme de Baudelaire résulte en fait de son dualisme.
D’une part son âme se fige et se meurt devant « le spectacle ennuyeux de l’éternel péché», D’autre part ses sensations, bêtes et laides, épuisent son corps. Toutefois d’autres sentiments sont possibles. Tout n’est pas donné. Il manque l’essentiel : l’abstraction qui purifie les sensations, l’esthétique, le plaisir du beau : “Glorifier le culte des images (ma grande, mon unique, ma primitive passion) “,
Car l’imaginaire n’oublie pas les premières expériences, amorales et cruelles, toujours étonnantes, bouleversantes et naïves de l’enfance : «Tout enfant, j’ai senti dans mon cœur deux sentiments contradictoires : l’horreur de la vie et l’extase de la vie.» Traduisons : l’ennui et la curiosité, le péché et la naïveté, le naturel et l’imprévisible.
L’art sauve en effet Baudelaire en transformant son anti-naturalisme en surnaturalisme, c’est-à-dire en lui permettant de découvrir des relations intimes entre le matériel et le spirituel, c’est-à-dire des correspondances seulement perçues «par des nerfs ultra-sensibles»,
Une existence augmentée Au-delà de ces plaintes, Baudelaire entrevoit une ivresse que Nietzsche aurait nommée dionysiaque. Suprême aventure naïve dans la passion audacieuse, l’expression sincère d’un tempérament trouve sa voie et des moyens pertinents : « Il faut entendre par la naïveté du génie la science du métier combinée avec le gnôti séauton, mais la science modeste laissant le beau rôle au tempérament»,
Sœur du travail journalier, l’inspiration obéit aux lois de la physiologie sans entraver l’ivresse de la contemplation : « Tous ces nuages aux formes fantastiques et lumineuses ces ténèbres chaotiques, ces immensités vertes et roses, suspendues et ajoutées les unes aux autres, ces fournaises béantes, ces firmaments de satin noir ou violet, fripé, roulé ou déchiré, ces horizons en deuil ou ruisselants de métal fondu, toutes ces splendeurs me montèrent au cerveau comme une boisson capiteuse ou comme l’éloquence de l’opium»,
L’ivresse voile les terreurs du gouffre, allonge l’illimité, nie la temporalité, multiplie l’individualité et les sensations, rajeunit et augmente immensément le sentiment de l’existence, Car le vin de la vie et les fêtes de l’art rendent possible la magie suggestive de l’art moderne et pur. L’imaginaire aime se déraciner pour mieux produire ses métamorphoses.
Il ignore pourtant le hasard et veut le prendre de vitesse. Envisagée comme une totalité organique, un mécanisme complet ou un monde, l’œuvre d’art ne doit pas trahir son auteur, La main cherche donc à s’harmoniser avec l’imagination et trace, vivement, des arabesques ondoyantes : « Le dessin arabesque est le plus idéal de tous.» Pour incarner, sans maladresse, l’élan créateur, le geste affronte le grand obstacle de la mémoire et de la volonté : l’abus des détails.
- Une rapidité extrême d’exécution, consécutive à une lente conception, témoigne de la crainte d’un affaiblissement de l’énergie créatrice,
- De plus, les forces pourraient se disperser ou s’anéantir dans la matière.
- Il faut conserver le même élan, ni trop particulier, ni trop général, improvisé, impromptu et assuré,
Cette concentration expéditive et sans rupture paraît d’ailleurs tout à fait nécessaire à une esthétique de la modernité transfigurant le fugitif et l’éphémère : « C’est la peur de n’aller pas assez vite, de laisser échapper le fantôme avant que la synthèse n’en soit extraite et saisie ; c’est cette terrible peur qui possède tous les grands artistes et qui leur fait désirer si ardemment de s’approprier tous les moyens d’expression, pour que jamais les ordres de l’esprit ne soient altérés par les hésitations de la main ; pour que finalement l’exécution, l’exécution idéale, devienne aussi inconsciente, aussi coulante que la digestion» L’ivresse et la fureur de ces élans expriment également une certaine innocence.
L’ouvrier s’efface devant la pureté de son intention ou de son âme. La maladresse de Delacroix, certes peu fréquente, vaut mieux que l’idéal du compas, la pire des sottises avec la ligne droite, tragique et systématique. Une œuvre prend ainsi les dimensions et les vibrations du corps de l’artiste qui, avec une grande nervosité, comme chez Constantin Guys, préfigurent la peinture gestuelle des contemporains où il faut en quelque sorte entrer dans le tableau plutôt que de le regarder.
Alors surgissent des images aussi vivantes et agitées que l’homme lui-même, et, dans ce mouvement indéfini, le hasard, que Baudelaire proscrit, apporte malgré tout des couleurs nouvelles pour exprimer quelque innocence : « Plus un tableau est grand, plus la touche doit être large, cela va sans dire ; mais il est bon que les touches ne soient pas matériellement fondues ; elles se fondent naturellement à une distance voulue par la loi sympathique qui les a associées.
La couleur obtient ainsi plus d’énergie et de fraîcheur.» Au reste, dans cette esthétique à la fois mélancolique et exaltée de la modernité, Baudelaire nous donne son image la plus pertinente : celle du dandysme auquel il s’identifie par refus de la société bourgeoise, médiocre et inculte : « Le dandysme est un soleil couchant ; comme l’astre qui décline, il est superbe, sans chaleur et plein de mélancolie.
Mais, hélas ! la marée montante de la démocratie, qui envahit tout et qui nivelle tout, noie jour à jour ces derniers représentants de l’orgueil humain.» L’amour incorrigible du grand conduit Baudelaire à rechercher l’héroïsme de la vie moderne, la poésie épique de Paris et les images ondoyantes, mouvantes, fugitives et infinies de la foule,
Le dandy incarne l’esthétique de Baudelaire par sa manière désinvolte de paraître et de provoquer l’étonnement. Son élégance modérée, teintée de jansénisme, de fierté aristocratique, d’austérité et de subtilité intellectuelle, d’insensibilité vengeresse et héroïque, de pudeur sincère et d’ironie mélancolique, n’est pas un culte narcissique et ridicule.
Son but est plutôt de corriger la nature. Mais la sottise triomphe tout de même. L’aristocratie spirituelle, chancelante et avilie, est condamnée. La femme, «reine des péchés », n’apporte pas de salut possible ; et l’idée grotesque du progrès, diagnostic de la décadence, nous prive de liberté, de responsabilité, et fait triompher le matérialisme,
- Il reste pourtant l’autre versant du Beau, l’ardeur concentrée du génie.
- Baudelaire cite Emerson : «The one prudence in life is concentration ; the one evil is dissipation.
- » Dans cette voie, les forces de l’imaginaire deviennent plus amples, plus profondes, et renaît une barbarie inévitable et synthétique, celle de l’enfance expliquée, sauvée, formulée : « Le génie n’est que l’enfance retrouvée à volonté, l’enfance douée maintenant, pour s’exprimer, d’organes virils et de l’esprit analytique qui lui permet d’ordonner la somme de matériaux involontairement amassée.» Sur ces rives cesse l’abîme pascalien.
Une âme exilée dans la misère du présent, ballottée de haut en bas sur l’échelle fatale, condense sa mélancolie pour raviver la nostalgie de l’enfance et de l’innocence perdue. Correspondances Baudelaire ne considère pas la nature comme un tout absolu et complet,
- Il ne voit que des individus, c’est-à-dire des fragments dispersés, ni composés, ni mélodieux, que l’imaginaire pourra animer.
- Inspiré par Delacroix, il reprend sa formule : « La nature n’est qu’un dictionnaire ».
- L’âme de ces pages, banales et figées, est ailleurs.
- Comme principe spirituel de totalisation, l’imaginaire défie cette précaire érudition et rend possible l’irréel : « Je voudrais des prairies teintes en rouge et les arbres peints en bleu.
La nature n’a pas d’imagination.» Le fauvisme lui donnera raison. Tout se joue, donc, à l’intérieur de l’individu capable d’oublier la laideur du monde et de créer un autre monde. L’âme s’isole, mais n’ignore pas qu’elle doit s’incarner et se donner d’autres formes.
- Les peintres abstraits sauront respecter cette nécessité vitale et organique : « Un bon tableau, fidèle et égal au rêve qui l’a enfanté, doit être produit comme un monde »,
- Le surnaturalisme de Heine était plus innéiste qu’empiriste.
- Baudelaire préfère l’expérience mystérieuse des couleurs et des lignes, sachant que la nature impose de nombreuses règles au déploiement de l’imaginaire : forme et couleur sont un ; la couleur étant l’accord d’un ton chaud et d’un ton froid.
Le surnaturalisme de Baudelaire crée, en effet, dans les profondeurs inconscientes des sensations, une fusion infinie qui a l’ivresse de l’innocence : « les parfums, les couleurs et les sons se répondent», Comment en apprécier le retentissement ? L’ineffable parle : “Ô métamorphose mystique De tous mes sens fondus en un ! ” Sur l’immense clavier hoffmannien des correspondances, Baudelaire recherche furieusement les expériences où le son se mêle à la lumière, comme si les beautés de la terre correspondaient avec celles du ciel.
Une fois encore, il rêve d’un tableau abstrait et mélodieux. Il suffit de « regarder d’assez loin pour n’en comprendre ni le sujet ni les lignes. S’il est mélodieux, il a déjà un sens», Mais, en elle-même, la couleur est toujours harmonie, mélodie, contrepoint, Dans les profondeurs mystérieuses de l’infiniment saisissable, la nature perd sa bêtise et sa cruauté.
Derrière l’imperceptible vibre « l’immense analogie universelle». Le principe de l’union de ces relations est donc métaphysique : « Il me semble que toutes ces choses ont été engendrées par un même rayon de lumière et qu’elles doivent se réunir dans un merveilleux concert»,
Baudelaire rêve aux rayons primitifs de la pure lumière, au feu clair qui remplit les espaces limpides, Mais cette clarté est double, transparente comme une eau courante ou bien comme une aube blanche et vermeille, En tout cas, pour Bachelard, la légèreté et la transparence du ciel s’animent vivement dès lors que triomphe le vaste crépuscule : « Dans le mot vaste, la voyelle ɑ est la voyelle de m’immensité.
C’est un espace sonore qui commence en un soupir et qui s’étend sans limite.» Dans l’immense lumière réside le bonheur ou le repos, mais Baudelaire déteste la transparence et la fluidité excessives de la peinture anglaise. Consistante, la couleur primitive doit s’unir à celles du monde.
- L’ombre et la lumière deviennent ainsi le vert, fond de la nature, et le rouge qui chante sa gloire,
- Le noir, « zéro solitaire et insignifiant », apporte le vide, le silence, une profondeur triste, voire désespérée.
- Il appelle la lumière, le rouge ou le bleu immense, froid, céleste, aquatique.
- La magie des couleurs fait éclater les certitudes trop rationnelles.
Le jaune, l’orangé et le rouge inspirent aussi bien la joie et la richesse, que la gloire et l’amour, L’extase frivole du rose se fane en gardant son innocente vitalité, et le violet s’éteint en faisant luire ses derniers feux. Toutefois, cette esthétique des correspondances entre les sensations et les émotions obéit à la sensibilité singulière de chaque artiste.
La couleur pense par elle-même dès lors que le peintre a préétabli une harmonie possible avec certains sujets et qu’il fait ensuite abstraction de ces derniers, pour ne saisir que des accords mélodieux, Nul formalisme pourtant, cette musique reste symbolique et laisse dans l’esprit un souvenir profond, essentiel.
La mélodie exprime une âme, un principe d’unification, un tempérament : « Ainsi la couleur de Véronèse est calme et gaie. La couleur de Delacroix est souvent plaintive.» Si la mélodie est l’unité dans la couleur, c’est bien à partir de correspondances entre l’infinité de tons des masses colorées, et l’harmonie qu’éprouve l’âme au souvenir de ces vibrations.
L’esthétique de Baudelaire tient compte de ces abstractions qui envisagent une œuvre d’art à partir de l’écho produit sur l’imaginaire de chaque homme. Les mélodies peuvent changer : le Nord est coloriste, ses rêves émergent de la brume ; les Espagnols sont plutôt contrastés, le Midi est naturaliste Au-delà de ces généralités, l’auteur des Curiosités esthétiques trouve un art pur et moderne dans une soudaine harmonie qui efface les contrastes pour faire surgir des résonances intérieures plus vives, denses et présentes : « la pondération du vert et du rouge plaît à notre âme»,
L’obscur et le lumineux, le calme et la passion, s’harmonisent indéfiniment à partir d’une gamme de tons qui peuvent être crus, vifs, peu variés, La science du contrepoint permet d’ailleurs au vrai coloriste de faire une harmonie de vingt rouges différents,
- Le jeu des tons colorés importe alors moins que l’effet qu’il produit.
- Et l’accord peut être atteint avec des moyens plus réduits : le noir, le blanc et le gris.
- De Manet à Soulage, nul ne contestera cette nécessité de simplifier pour permettre à l’imaginaire de se déployer plus librement et de conserver son énergie créatrice.
Car la vie des correspondances suppose une certaine continuité, une permanence que lui garantit la mémoire lorsque les souvenirs sont suffisamment mélodieux et harmonieux pour mériter leur conversation. L’âme se nourrit des beautés qui l’élèvent et la purifient : «J’ai déjà remarqué que le souvenir était le grand critérium de l’art ; l’art est une mnémotechnie du beau : or l’imitation exacte gâte le souvenir»,
Il faut que l’âme choisisse ses détails et son horizon, refuse le chic et le poncif, donc simplifie dans le sens de l’ultra-sensible.D. Conclusion L’art pur et la critique Critique, Baudelaire a d’abord recherché la spécificité des différents arts. La peinture est alors pour lui « une évocation, une opération magique» ; la sculpture « solennise tout, même le mouvement ; elle donne à tout ce qui est humain quelque chose d’éternel et qui participe de la dureté de la matière employée» ; la musique élève, enlève, fait monter plus haut, creuse le ciel,
Et la poésie, plus intérieure, « gît dans l’âme du spectateur», Sans doute inhérente aux soubresauts de l’imaginaire, elle surgit à l’insu de l’artiste. Par ailleurs, avant Malraux, Baudelaire, qui a le culte des images, limite la peinture à ses couleurs et à ses formes : “Glorifier le culte des images (ma grande, mon unique, ma primitive passion.” La spécificité de la peinture est donc d’abord formelle, car si c’est bien l’imagination qui coule et qui féconde les diverses énergies créatrices d’un peintre, cette imagination se rapporte à quelques possibles formes définitives ainsi devenues éternelles : “Toute forme créée, même par l’homme, est immortelle.
Car la forme est indépendante de la matière, et ce ne sont pas les molécules qui constituent la forme.” Pourtant, le critique aime ardemment les traces sensibles, émouvantes, audacieuses, informelles, vives, amples, spontanées et naïves de tous les imaginaires plastiques Toutefois, le refus d’empiéter sur un art voisin et le désir de se suffire à soi-même demeurent «dans les limites providentielles».
Car dans sa double volonté moderne d’actuel et d’inactuel, Baudelaire brise les barrières rigides et obscures du matérialisme et du positivisme. Sa conception de l’art pur convient en effet pour toutes les formes de création qui, par des moyens différents, obéissent à l’imagination universelle, à cette faculté souveraine qui rassemble intelligences et volontés.
Au reste, l’art pur est précisément une indéfinissable épreuve créatrice qui efface toutes les limites : « Qu’est-ce que l’art pur suivant la conception moderne ? C’est créer une magie suggestive contenant à la fois l’objet et le sujet, le monde extérieur à l’artiste et l’artiste lui-même.» Dès lors, chaque activité artistique obéit à une double exigence : celle de l’imagination universelle (cette faculté créatrice de pureté et de liberté), et celle de l’intelligence, guidée par l’imaginaire, qui construit le corps spécifique d’une œuvre à partir de moyens contingents.
L’une n’exclut pas l’autre, et cette tension alogique prouve, une fois de plus, que la modernité impose une démarche indéfinie. L’imagination est et n’est pas ce qu’elle produit ; elle rassemble l’analyse, la synthèse, la sensibilité, le sens moral de la couleur, du tracé, des sons et des parfums,
Un jeu de correspondances entre les arts pourra donc ensuite être envisagé à partir d’une source ineffable toujours recherchée : « Je trouve une analogie et une réunion intime entre les couleurs, les sons, les parfums.» L’art pur est ainsi l’affirmation d’une possible unification du matériel et du spirituel projetée sur l’écran morcelé d’une modernité au devenir à la fois incertain et transfiguré.
Certes, l’imagination «a créé, au commencement du monde, l’analogie et la métaphore», mais elle ne peut se réduire aux corps finis et fragmentés qu’elle produit pour mieux les dépasser. Car une âme éclatante vit dans le paroxysme et préfère la dispersion de ses forces dans l’immensité profonde de sa liberté créatrice.
Le désir d’unification reste néanmoins vif et tenace chez Baudelaire. Le Marat assassiné de David exhale pour lui « le parfum de l’idéal » : les forces intimes de l’imaginaire ont ainsi trouvé le corps adéquat à une âme qui «voltige». Ailleurs surgissent d’autres élévations vivifiantes et légères qui ne sont pas toujours comprises par les philosophes, notamment par Sartre lorsqu’il écrit : “Il y a une distance originelle de Baudelaire au monde, qui n’est pas la nôtre ; entre les objets et lui s’insère toujours une translucidité un peu moite, un peu trop odorante, comme un tremblement d’air chaud, l’été.” Pourtant, Baudelaire voit bien clairement et avec légèreté que les fleurs de l’immortalité se joignent aux métamorphoses vitalistes de Cybèle qui « fait couler le rocher et fleurir le désert.» Au-delà de cette expansion et de ces vastes synthèses poétiques naît également un désir opposé de concentration.
La pensée de l’art pur impose alors à l’exigence critique de Baudelaire de tenir compte de sa propre subjectivité, sensible et passionnée, précisément afin d’en modérer les excès. Il lui faut adoucir les contradictions entre l’intériorité et l’extériorité.
- D’une manière semblable, pour comprendre l’art, le bourgeois calculateur devra équilibrer, par le sentiment, les forces de son âme.
- Partiale, passionnée, politique, la critique baudelairienne se réduit donc pour mieux atteindre l’universel.
- Un point de vue exclusif peut en effet ouvrir sur de nouveaux horizons, car c’est au cœur de la subjectivité que vibre l’imaginaire, la puissance infinie de créer.
Rien de formel donc, mais la sincérité d’un tempérament qui, afin d’interpréter, ne masque ni son indifférence, ni sa haine, et qui sait «deviner beaucoup». Tout Baudelaire se trouve dans la tension excessive de sa subjectivité condamnée à s’exprimer avant de reconnaître d’autres singularités et de pouvoir calmer ses passions : « La haine est une liqueur précieuse, un poison plus cher que celui des Borgia, – car il est fait avec notre sang, notre santé, notre sommeil et les deux tiers de notre amour ! Il faut en être avare !»,
Certes, Baudelaire crée plus aisément cette magie suggestive de l’art pur à l’intérieur de sa propre poésie. Pourtant les différences avec son travail de critique restent formelles. La même passion lucide anime en effet Les Fleurs du mal : «J’ai mis toute ma pensée, tout mon cœur, toute ma religion (travestie), toute ma haine.
» Et c’est dans ses Petits Poèmes en prose que son esthétique atteint les cimes de la lucidité. Nul prosaïsme alors, pas davantage que dans Les Fleurs du mal, mais une mélodie libre et nourrie par l’élan indéfini de l’imaginaire, par une mélodie parfois secrète et étouffée, souvent évocatrice et hésitante, souple et vigoureuse, et toujours chargée de significations symboliques, émouvantes et inattendues.
Baudelaire réalise ainsi ses rêves : « Quel est celui de nous qui n’a pas, dans ses jours d’ambition, rêvé le miracle d’une prose poétique, musicale, sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s’adapter aux mouvements lyriques de l’âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ?» Baudelaire, Curiosités esthétiques – L’Art romantique et autres œuvres critiques, Garnier Frères, 1962, Salon de 1846, p.195.
Baudelaire, Curiosités esthétiques, Le peintre de la vie moderne, op.cit., p.466. Deleuze, (Gilles) Nietzsche et la Philosophie, Presses Universitaires de France, Paris, 1967, p.120. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Le peintre de la vie moderne, op.cit., p.466.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques – Le peintre de la vie moderne, op.cit., p.467.
- Baudelaire, Mon cœur mis à nu.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques – Quelques caricaturistes étrangers, p.297.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, op.
- Cit, p.147.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques – Le Musée du Bazar Bonne-Nouvelle, op.cit., p.92.
Baudelaire, Curiosités esthétiques – Salon de 1859, op.cit., p.322. Baudelaire, Ibid, p.341. Baudelaire, Ibid, p.312. Baudelaire Les Fleurs du mal, Au lecteur, Baudelaire, Œuvres, Pléiade, II, p.384. Baudelaire, cité par G. Bachelard, L’Air et les songes, p.222.
Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1859, op.cit., p.329. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, op.cit., p.119. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Morale du joujou, op.cit., p.203. Baudelaire, Les Fleurs du mal, Moesta et errabunda, Baudelaire, Les Fleurs du mal, Le Flacon. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Exposition universelle de 1855, op.
cit, p.217. Baudelaire, Ibid, p.237. Baudelaire, Curiosités esthétiques, De l’essence du rire, p.243. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Quelques caricaturistes français, p.281. Baudelaire, Curiosités esthétiques, L’Art philosophique, p.505. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, p.169.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1859, p.385.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, p.102.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1859, p.341.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1845, p.61.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Exposition universelle de 1855, p.215.
Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, p.103. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Extraits des journaux intimes (Esthétique et Beaux-arts), p.530. Baudelaire, Curiosités esthétiques, De l’essence du rire, p.254. Baudelaire, Ibid, p.246, 250 et 254.
Baudelaire, Ibid, p.256 et 262. Baudelaire, Ibid, p.258, 254 et 262. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Quelques caricaturistes étrangers, p.296, De l’essence du rire, p.256 et Quelques caricaturistes étrangers,p.297. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Quelques caricaturistes français, p.269 et Quelques caricaturistes étrangers p.298.
Baudelaire, Curiosités esthétiques, Quelques caricaturistes étrangers, p.294. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, p.193 et 194. Baudelaire, Ibid, p.147. Baudelaire, L’Art romantique, Richard Wagner et Tannhauser, p.690. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Œuvre et vie d’Eugène Delacroix, p.424.
Baudelaire, Curiosités esthétiques, Le peintre de la vie moderne, op.cit., p.468. Baudelaire, premier feuillet de Mon cœur mis à nu. Baudelaire, Œuvres, Pléiade, I, p.487. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1859, op. cit, p.366. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Le peintre de la vie moderne, p.455 et 456.
Baudelaire, Ibid, p.147 et 424. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Extraits des journaux intimes (Esthétique et Beaux-arts), op. cit., p.530. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1845, op. cit., p.74. Baudelaire (Charles), Les Fleurs du mal, XXXVI, Le Balcon,
- Sartre (Jean-Paul), Baudelaire, Idées-nrf n°3, 1963, p.27.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Extraits des journaux intimes (Esthétique et Beaux-arts), Ibid, p.530.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, op.
- Cit, pp.147 et 148.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Le peintre de la vie moderne, p.492.
Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, p.149. Baudelaire (Charles), Les Fleurs du mal, Hymne à la beauté, Baudelaire, Les Fleurs du mal, Spleen LX. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1845, p.80 et Le Musée du Bazar Bonne-Nouvelle, p.89.
Baudelaire, Les Fleurs du mal, La Cloche fêlée, Baudelaire, Ibidem, Les Phares, Baudelaire, Curiosités esthétiques, Le Peintre de la vie moderne, op. cit, p.491. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Ibid, p.490. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, op. cit, p.188. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1859, op.
cit, p.319. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, op. cit, p.107. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1859, op. cit, p.378. Baudelaire, cité par Sartre, op. cit, p.231. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1859, op. cit, p.326.
- Baudelaire, Les Fleurs du mal, Le Voyage,
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Extraits des journaux intimes (Esthétique et Beaux-arts), op.
- Cit, p.531.
- Baudelaire, Mon cœur mis à nu, Journaux intimes, Mercure de France, 1938, p.88.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Exposition universelle de 1855, op.
cit, p.240. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, p.101 et 116. Baudelaire, cité par Bachelard, L’Air et les songes, p.222. Baudelaire, Œuvres, Pléiade, II, p.633, I, p.243 et I, p.640. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, op.
Cit, p.117 et Salon de 1859, p.327. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Extraits des journaux intimes (Esthétique et Beaux-arts), op. cit, p.530. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Le Musée du Bazar Bonne-Nouvelle, op. cit., p.89 et Salon de 1846, p.119. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, p.148, Quelques caricaturistes français, p.280 et Salon de 1845, pp.72 et 59.
Baudelaire, Curiosités esthétiques, Le peintre de la vie moderne, op.cit., 471. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1845, p.79, Salon de 1846, pp.116 et 148 et Exposition universelle de 1855, p.239. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1859, p.327.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1859, pp.309, et 364, et Le peintre de la vie moderne, p.485.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1859, p.354, Salon de 1846, p.195 et Le peintre de la vie moderne, p.463.
- Baudelaire, Les Fleurs du mal, Parfum exotique.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Exposition universelle de 1855, p.217 et Salon de 1859, p.316.
Baudelaire, Curiosités esthétiques, Œuvre et vie d’Eugène Delacroix, pp.435 et 441. Baudelaire, Œuvres, Pléiade, I, p.379. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Le peintre de la vie moderne, p.469. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1845, p.14 et Le peintre de la vie moderne, p.462.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, p.148.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1859, p.326.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Le peintre de la vie moderne, p.494.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1859, p.327.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, p.101.
Baudelaire, Ibid, p.107. Baudelaire, Les Fleurs du mal, Correspondances. Baudelaire, Ibid, Tout entière. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Exposition universelle de 1855, p.213. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, p.108. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1845, p.73.
- Baudelaire Curiosités esthétiques, Exposition universelle de 1855, p.210.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, p.109.
- Baudelaire, Les Fleurs du mal, Bénédiction.
- Baudelaire, Ibid, Élévation.
- Baudelaire, Ibid, L’Aube spirituelle.
- Bachelard, La poétique de l’espace, PUF, 1957-1964, p.180.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1859, p.358 et Salon de 1846, p.161.
Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, p.105. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1859, p.327. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Exposition universelle de 1855, p.238. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, p.108. Baudelaire, Ibid, p.104.
Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1859, p.374 et Salon de 1845, p.11. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, p.199. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1845, p.61 et Salon de 1846, p.106. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, p.107. Baudelaire, Ibid, p.197.
Baudelaire, Ibid, p.147. Baudelaire, Ibid, p.148. Baudelaire, Ibid, p.164. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Exposition universelle de 1855, p.217. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1859, p.384. Baudelaire, L’Art romantique, Richard Wagner et Tannhauser, p.690.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, p.171.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Extraits des journaux intimes (Esthétique et Beaux-arts), Ibid, p.531.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Extraits des journaux intimes (Esthétique et Beaux-arts), Ibid, p.532.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, L’Art philosophique, p.504.
Baudelaire, Ibid, p.512. : Baudelaire : une esthétique de la modernité – Claude Stéphane PERRIN
Quel poème évoque la beauté dans les Fleurs du Mal ?
La Beauté est un sonnet de Charles Baudelaire, publié dans son recueil Les Fleurs du mal en 1857 ; il fait partie de la section Spleen et Idéal.
Quelle image Baudelaire Donne-t-il de la beauté dans ce poème ?
Hymne à la beauté – Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l’abîme 1, Ô Beauté ! ton regard, infernal et divin, Verse confusément le bienfait et le crime, Et l’on peut pour cela te comparer au vin. Tu contiens dans ton œil le couchant et l’aurore ; Tu répands des parfums comme un soir orageux ; Tes baisers sont un philtre et ta bouche une amphore Qui font le héros lâche et l’enfant courageux.
Sors-tu du gouffre noir ou descends-tu des astres ? Le Destin charmé suit tes jupons comme un chien ; Tu sèmes au hasard la joie et les désastres, Et tu gouvernes tout et ne réponds de rien. Tu marches sur des morts, Beauté, dont tu te moques ; De tes bijoux l’Horreur n’est pas le moins charmant, Et le Meurtre, parmi tes plus chères breloques 2, Sur ton ventre orgueilleux danse amoureusement.
L’éphémère 3 ébloui vole vers toi, chandelle, Crépite, flambe et dit : Bénissons ce flambeau ! L’amoureux pantelant incliné sur sa belle A l’air d’un moribond 4 caressant son tombeau. Que tu viennes du ciel ou de l’enfer, qu’importe, Ô Beauté ! monstre énorme, effrayant, ingénu ! Si ton œil, ton souris 5, ton pied, m’ouvrent la porte D’un Infini que j’aime et n’ai jamais connu ? De Satan ou de Dieu, qu’importe ? Ange ou Sirène, Qu’importe, si tu rends, – fée aux yeux de velours, Rythme, parfum, lueur, ô mon unique reine ! – L’univers moins hideux et les instants moins lourds ? Charles Baudelaire – Les Fleurs du mal Vocabulaire : 1 abîme : gouffre, grande cavité 2 breloque : bijou de faible valeur 3 éphémère : insecte dont l’adulte ne vit qu’un seul jour 4 moribond : sur le point de mourir 5 souris : sourire Jeanne Duval, dessinée par Baudelaire Annonce des axes I. L’ambivalence de la beauté 1. Un système d’antithèses 2. Une beauté divine et satanique à la fois II. La fascination pour la beauté 1. Une beauté sensuelle 2. Le pouvoir de fascination 3. Un hymne à la beauté III. La soumission du poète à la beauté 1. La beauté : une fleur du mal 2. Une soumission à la beauté 3. Mais une soumission salvatrice Commentaire littéraire I. L’ambivalence de la beauté Ambivalence : qui peut avoir deux sens, deux interprétations 1. Un système d’antithèses Baudelaire a recours à de nombreuses antithèses tout au long du poème pour évoquer la beauté : – “ciel profond” / “abîme” – “infernal et divin” – “le bienfait et le crime” – “le couchant et l’aurore” – etc. Ces antithèses ont aussi pour but de montrer que la beauté est tout, est partout dans le monde (exemple : “Tu contiens dans ton œil le couchant et l’aurore”). Cela se voit également dans “tu gouvernes tout”.2. Une beauté divine et satanique à la fois Baudelaire emploie le champ lexical du divin et du satanique, bien souvent en mettant les deux en antithèse, Champ lexical du divin : “ciel”, “divin”, “astres”, “Dieu”. Champ lexical du satanique : “abîme”, “infernal”, “gouffre noir”, “enfer”, “Satan”. Les antithèses sont généralement associées à des notions de bien et de mal, comme le divin et le satanique (“infernal et divin”, “le bienfait et le crime”.). Ainsi, le poète s’interroge sur l’origine et la nature de la beauté : émane-t-elle du bien ou du mal ? D’ailleurs, cette interrogation ouvre le poème : “Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l’abîme”. Puis les interrogations se répètent plus loin dans le poème : “Sors-tu du gouffre noir ou descends-tu des astres ?”, “De Satan ou de Dieu ?”. Dans ce poème le bien et le mal semblent indissociables, Dans la construction du poème, cela se voit par le fait qu’ils forment soit un hémistiche chacun (“Viens-tu du ciel profond / ou sors-tu de l’abîme”), soit ils sont réunis dans un même hémistiche de 6 syllabes : “infernal et divin”, “le bienfait et le crime” Ainsi, la beauté est insaisissable car elle regroupe les notions contraires de bien et de mal. II. La fascination pour la beauté 1. Une beauté sensuelle La beauté est représentée comme une belle femme, sensuelle : “Tu répands des parfums”, “Tes baisers sont un philtre et ta bouche une amphore”, “jupons”, “tes bijoux”, “fée aux yeux de velours”. Le vocabulaire utilisé est élogieux, et parfois presque érotique, Ainsi, Baudelaire représente la beauté sous les traits d’une femme : la beauté est personnifiée => c’est une allégorie de la beauté,2. Le pouvoir de fascination Baudelaire semble comme fasciné par la beauté, comme un homme est fasciné par une femme dont il est amoureux, Le terme “amoureusement” est d’ailleurs employé au vers 16 et “amoureux” au vers 19. Rappelons que ce poème est dédié à Jeanne Duval, dont Baudelaire était très amoureux. La beauté fascine également par son aspect monstrueux. Ainsi Baudelaire fait un rapprochement de la beauté et du monstrueux, comme un oxymore : “Ô Beauté ! monstre énorme, effrayant”. Ces rapprochements inhabituels montrent la modernité poétique de Baudelaire.3. Un hymne à la beauté Tout le poème est écrit comme un hymne à la beauté, Baudelaire s’adresse directement à la beauté. Il la tutoie “Viens-tu”. Il interpelle la beauté “Ô Beauté”. De nombreuses phrases exclamatives montrent l’admiration et l’enthousiasme du poète pour le beauté. Baudelaire utilise le champ lexical de la lumière pour désigner la beauté : “ébloui”, “chandelle”, “flambeau”, “lueur”. De même, Baudelaire utilise un vocabulaire élogieux, en particulier dans la dernière strophe : “Ange ou Sirène”, “fée aux yeux de velours”, “ô mon unique reine !”. Le mot “unique” montre à quel point la beauté est précieuse aux yeux de Baudelaire. La beauté concerne tous les sens : la vue (“regard”, “œil”, “ébloui”.), l’odorat (“parfums”), le toucher (“baisers”), le gout (“bouche”), l’ouïe (“Crépite”, “Rythme”). Notons dans le premier hémistiche du vers 27 une accumulation de mots faisant référence à ces sens : “Rythme, parfum, lueur”. III. La soumission du poète à la beauté 1. La beauté : une fleur du mal Tout d’abord, nous pouvons voir que la beauté est associée à l’idée de la mort, comme le montre le champ lexical de la mort (“crime”, “moribond”, “morts”, “tombeau”). Cela est particulièrement visible au vers 13 “Tu marches sur des morts, Beauté, dont tu te moques” dans lequel les mots “morts” et “Beauté” sont répartis de part et d’autre de la césure La beauté peut être fatale, comme le montrent les vers 17 et 18 : “L’éphémère ébloui vole vers toi, chandelle, / Crépite, flambe et dit : Bénissons ce flambeau !”. Ainsi, l’éphémère (insecte dont l’adulte ne vit qu’un seul jour) meurt sous la flamme de la beauté, et semble en tirer du plaisir (“Bénissons ce flambeau”). La beauté n’a pas de morale, elle fait indifféremment le bien et le mal : “Tu sèmes au hasard la joie et les désastres”, “tu ne réponds de rien”. L’ allitération en dans “le Meurtre, parmi tes plus chères breloques, / Sur ton ventre orgueilleux danse amoureusement” montre la dureté de la beauté lorsqu’elle fait le mal. Ainsi, la beauté est bien une fleur du mal.2. Une soumission à la beauté L’idée de soumission à la beauté est clairement émise dans le vers “Le Destin charmé suit tes jupons comme un chien”. L’adjectif “charmé” montre que la soumission est due au pouvoir de séduction de la beauté, comme Baudelaire est soumis à la belle Jeanne Duval. L’adjectif “charmé” peut également être pris dans le sens de “envouté”. De même, dans “L’amoureux pantelant incliné sur sa belle”, l’adjectif “incliné” montre l’idée de soumission. Et dans “mon unique reine”, nous avons l’idée d’un sujet soumis à sa reine.3. Mais une soumission salvatrice Le poète ne juge pas la beauté selon si elle fait le bien ou le mal, comme le montre la répétition de “qu’importe” associé à une antithèse faisant référence au bien et au mal (“Que tu viennes du ciel ou de l’enfer, qu’importe”, “De Satan ou de Dieu, qu’importe ? Ange ou Sirène, / Qu’importe”). Ainsi, Baudelaire veut montrer que l’origine de cette beauté importe peu, ce qui compte est le résultat : le plaisir de la beauté, Dès la deuxième strophe, nous pouvons voir que la beauté a un pouvoir sur le poète : “Tes baisers sont un philtre”, un philtre étant une potion généralement préparée par les sorciers et destinée à inspirer l’amour. La beauté a le pouvoir d’inverser les règles : “font le héros lâche et l’enfant courageux”. On note ici un parallélisme de construction. La beauté permet au poète de découvrir de nouvelles choses auparavant inconnues : Baudelaire la compare au vin qui enivre (vers 4), et aux vers 23-24 “m’ouvrent la porte / D’un Infini que j’aime et n’ai jamais connu”. La beauté permet ainsi de se délivrer de l’ennui, le spleen baudelairien, et d’accéder à l’éternité (“Infini”, placé en rejet), Le poème se termine sur la conclusion que la beauté améliore le monde, et permet de résister au spleen : “tu rends L’univers moins hideux et les instants moins lourds”, Conclusion Dans cet Hymne à la Beauté, Baudelaire montre sa modernité en associant à la beauté, non seulement les images traditionnelles du bien, mais aussi et surtout les images nouvelles du mal, du monstrueux. Cette beauté monstrueuse lui permet de s’extirper du spleen et du temps qui passe. Si vous avez aimé cette analyse de Hymne à la Beauté de Charles Baudelaire, vous aimerez aussi les analyses des poèmes suivants :
Qu’est-ce que Baudelaire transformé en or ?
Tout l’art du poète revient alors à sculpter une matière laide ou triviale pour en faire un objet précieux, comme un alchimiste qui réussirait miraculeusement à transformer le plomb en or. C’est ce que suggère le dernier quatrain du poème intitulé « Le Soleil ».
Quel est le poème le plus touchant des Fleurs du Mal ?
Les Fleurs du mal – Il motive plusieurs poèmes des Fleurs du Mal, son recueil de cent pièces publié en 1857, qui sera réédité et largement enrichi, en 1861, après le procès perdu pour outrage à la morale. Parmi les poèmes les plus connus : – l’« Albatros », qui dévoile l’analogie entre « le vaste oiseau des mers » persécuté par les marins sur le pont du navire et le poète, « Prince des nuées » que « ses ailes de géant empêchent de marcher ».
- Ou encore : « À une Dame créole » et « À une Malabaraise » qui célèbrent la beauté sensuelle des femmes des îles où la figure féminine est alors intimement associée aux images et aux sensations du voyage.
- Ce voyage est alors une source d’inspiration pour Baudelaire – comme pour ses contemporains Chateaubriand, Lamartine, Nerval, Du Camp auquel est dédié le long poème final.
Les récits de voyage sont à la mode. Mais c’est en fait toute l’œuvre qui constitue, pour son « semblable », son « frère », une invitation au voyage. A travers les six sections du recueil de 1861, le lecteur est convié à la navigation : voyage circulaire, voyage linéaire, comme l’écrit Baudelaire à Alfred de Vigny en 1861 : « Le seul éloge que je sollicite pour ce livre est qu’on reconnaisse qu’il n’est pas un pur album et qu’il possède un commencement et une fin ».
- Voyons comment s’organise à travers les Fleurs du mal ce voyage imaginaire, onirique et symbolique entre Boue et Or, Spleen et Idéal.
- « Il y a dans tout homme, à toute heure, deux postulations simultanées, l’une vers Dieu, l’autre vers Satan.
- L’invocation à Dieu, ou spiritualité, est un désir de monter en grade ; celle de Satan, ou animalité, est une joie de descendre » écrit-il dans Mon cœur mis à nu, recueil de fragments inachevés de Charles Baudelaire, publiés vingt ans après sa mort.
Les Fleurs du mal traduisent la quête du poète déchiré mais conscient du pouvoir de l’écriture.
Comment Baudelaire transforme la boue en or dans l’Albatros ?
Selon Baudelaire, le poète se situe, par son art, au-dessus du commun des mortels dont il est incapable de partager la condition humaine. Il doit donc s’exiler, être seul et cette singularité s’est cristallisée dans le symbole de l’albatros. Le poète se dresse donc, seul, face à la boue du monde qui l’entoure.
Quelle image Baudelaire donne du soleil ?
Le soleil, Baudelaire, conclusion – Nous avons vu comment, dans ce poème, le soleil est d’abord représenté comme l’inspirateur du poète, avant de devenir une métaphore des pouvoirs de la poésie. «Le soleil» témoigne d’une représentation ambivalente du poète,
- En effet, le poète est dans la première strophe ce misérable chiffonnier à la recherche de fantastiques trouvailles langagières dans les rues misérables.
- Puis, à la dernière strophe, le poète est divinisé, doué des pouvoirs surnaturels, comparé au soleil.
- Il guérit les maux du corps et de l’esprit, purifie l’espace souillé de la ville.
Le poète solaire est cet alchimiste des mots qui transforme la boue du langage en or poétique. Ce poème est à mettre en lien avec « Le Vin des Chiffonnier », qui est également l’un des plus anciens du recueil.
Quelles figures incarnent le mal la laideur morale dans Les Fleurs du Mal ?
La connotation chrétienne du Satan-Ange déchu s’estompe alors, en même temps que ce qui ressemblerait à une ô combien sulfureuse morale du Mal dans la création baudelairienne.
Quelle image Baudelaire donne de la ville ?
Baudelaire et la ville : le beau, envers et contre tout Par Mis à jour le jeudi 16 décembre 2021 à 07h00, publié le mardi 14 décembre 2021 à 16h45 Charles Baudelaire Baudelaire est un citadin, un “flâneur” dans la grande ville. Pour lui, il ne s’agit pas d’embellir la ville mais d’y déceler la beauté mystérieuse qui y éclot à chaque pas. La ville est le motif où se manifeste de la façon la plus claire la conception baudelairienne du Beau.
- Il a voulu faire entrer Paris en poésie, non pas le Paris historique ou le Paris pittoresque, mais celui des marginaux, des pauvres, des ruines, des faubourgs.
- Cela a donné les admirables “Tableaux parisiens” des Fleurs du Mal et les poèmes en prose du Spleen de Paris,
- Il ne s’agit pas pour lui d’embellir la ville mais d’y déceler la beauté mystérieuse qui y éclot à chaque pas et de trouver, pour cette beauté, les mots, la forme poétique, adéquats.
La ville est ainsi le motif où se manifeste de la façon la plus claire la conception baudelairienne du Beau.
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Une conférence enregistrée en novembre 2021. Agnès Spiquel, professeur émérite, elle a été maitresse de conférence à l’Université d’Amiens puis professeur à l’Université de Valenciennes.1h 00 Vous trouvez cet article intéressant ? Faites-le savoir et partagez-le. : Baudelaire et la ville : le beau, envers et contre tout
Est-ce que c’est beau quand le poète parle du laid ?
« Extraire la beauté du trivial » – Encore convient-il de distinguer nettement la beauté du poème et la beauté de ce dont parle le poème, On peut très bien produire un très beau poème en parlant de choses très laides. Tout un pan de la poésie moderne revient à « extraire la beauté du trivial », pour reprendre le titre d’une conférence donnée par Jean-Michel Maulpoix à l’Université de Toulouse.
Il y a ici quelque chose de l’ordre de la transmutation alchimique : « Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or », disait Baudelaire. Il suffit de relire « Une charogne » pour se rendre compte que, en dépit de son sujet particulièrement répugnant, le poème est magnifique. Le poète a transformé sa charogne en une réalité sinon belle, du moins pétillante, dans une hypotypose pleine de vie.
Cette ordure est comme magnifiée par le « soleil » qui « rayonnait », dans un « beau matin d’été si doux », L’adjectif « superbe » et la comparaison « comme une fleur » transforment ce dégoûtant objet en sujet digne d’un poème. Aussi la beauté s’invite-t-elle dans le poème: « Tout cela descendait, montait comme une vague, Où s’élançait en pétillant ; On eut dit que le corps, enflé d’un souffle vague, Vivait en se multipliant.
Et ce monde rendait une étrange musique Comme l’eau courante et le vent, Ou le grain qu’un vanneur d’un mouvement rythmique Agite et tourne dans son van. Les formes s’effaçaient et n’étaient plus qu’un rêve, Une ébauche lente à venir, Sur la toile oubliée, et que l’artiste achève Seulement par le souvenir.
» Charles BAUDELAIRE, « Une charogne », op. cit. Le poète est peut-être donc celui qui, mieux que tout autre, sait déceler de la beauté là où l’homme du commun ne voit que de la laideur. Alors, la poésie ne doit-elle parler que de ce qui est beau ? On voit combien la réponse à cette question dépend de la définition même que l’on a du beau, celle du poète pouvant bien être fort différente de celle qui prévaut dans l’opinion commune.
Si le poète sait trouver de la beauté là où d’autres n’en voient pas, alors même des poèmes que l’on jugerait parler de ce qui est laid, peuvent en réalité parler d’une forme singulière, paradoxale, inapparente de beauté. En somme, la beauté d’un poème ne dépendrait en rien de la beauté de ce dont il parle.
Et la beauté même d’un poème ne saurait s’apprécier par des critères externes universels, dans la mesure où c’est avant tout l’originalité de la vision du poète qui importe, par-delà toute norme extérieure considérée comme insuffisante, voire impossible.
Quel est le message de Baudelaire dans Les Fleurs du Mal ?
Fleurs du Mal – Avec ses 9 poèmes, cette section, qui donne son nom au recueil, évoque la luxure et la débauche. À nouveau, il s’agit, par ces moyens de fuir le spleen et d’atteindre l’Idéal. Mais c’est à nouveau un échec, le vice ne conduisant qu’au dégoût de soi.
Quel est l’intention de Baudelaire dans le poème au lecteur ?
Au Lecteur – La sottise, l’erreur, le péché, la lésine, Occupent nos esprits et travaillent nos corps, Et nous alimentons nos aimables remords, Comme les mendiants nourrissent leur vermine. Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches ; Nous nous faisons payer grassement nos aveux, Et nous rentrons gaiement dans le chemin bourbeux, Croyant par de vils pleurs laver toutes nos taches. Sur l’oreiller du mal c’est Satan Trismégiste Qui berce longuement notre esprit enchanté, Et le riche métal de notre volonté Est tout vaporisé par ce savant chimiste. C’est le Diable qui tient les fils qui nous remuent ! Aux objets répugnants nous trouvons des appas ; Chaque jour vers l’Enfer nous descendons d’un pas, Sans horreur, à travers des ténèbres qui puent. Ainsi qu’un débauché pauvre qui baise et mange Le sein martyrisé d’une antique catin, Nous volons au passage un plaisir clandestin Que nous pressons bien fort comme une vieille orange. Serré, fourmillant, comme un million d’helminthes, Dans nos cerveaux ribote un peuple de Démons, Et, quand nous respirons, la Mort dans nos poumons Descend, fleuve invisible, avec de sourdes plaintes. Si le viol, le poison, le poignard, l’incendie, N’ont pas encor brodé de leurs plaisants dessins Le canevas banal de nos piteux destins, C’est que notre âme, hélas! n’est pas assez hardie. Mais parmi les chacals, les panthères, les lices, Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents, Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants, Dans la ménagerie infâme de nos vices, II en est un plus laid, plus méchant, plus immonde ! Quoiqu’il ne pousse ni grands gestes ni grands cris, Il ferait volontiers de la terre un débris Et dans un bâillement avalerait le monde ; C’est l’Ennui ! L’œil chargé d’un pleur involontaire, II rêve d’échafauds en fumant son houka. Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat, – Hypocrite lecteur, – mon semblable, – mon frère ! Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal Annonce des axes I. La toute puissance du Mal 1. La présence du Spleen 2. La toute puissance du Mal 3. Des vices mortels II. Un tableau de la condition humaine 1. Un homme Hypocrite 2. Un Homme faible 3. Un ennemi universel : l’Ennui III. Un poème en forme de préface 1. Un pacte avec le lecteur 2. La modernité de Baudelaire : sa violence poétique Commentaire littéraire I. La toute puissance du Mal 1. La présence du Spleen Baudelaire est en proie au Spleen (= mélancolie, ennui profond), écrire lui permet d’exprimer ce mal-être. Baudelaire nous expose donc une vie qui n’a rien d’attrayant. Il décrit le destin comme un « chemin bourbeux » se rapprochant ainsi du Spleen. Ainsi, il s’oppose à l’habituelle représentation de la vie telle une longue route tranquille. L’auteur utilise d’autres locutions péjoratives pour définir la vie notamment vers 7 « le canevas banal de nos piteux destins » qui déprécie notre existence. On peut aussi noter la personnification de la mort vers 23/24 « la Mort descend ». Celle-ci prend possession de nous et nous fait descendre, ce qui est une des caractéristiques du spleen. Baudelaire cherche dans ce quatrain à recréer l’effet d’une noyade ou d’une asphyxie dû au Spleen. Il utilise les termes « sourdes plaintes » et « fleuve invisible » pour faire ressentir au lecteur l’eau pénétrant dans nos poumons.2. La toute puissance du Mal On relève le champ lexical du mal, « Satan », « démon », « diable », le mal est donc très présent. Baudelaire développe ici une esthétique satanique. La majuscule à l’épithète de «Satan Trismégiste » montre la toute puissance du diable. Il est décrit comme un chimiste qui travaille sur notre esprit. L’Homme ne peut rien faire contre lui. Le Mal attire les hommes, il les ensorcelle « notre esprit enchanté ». L’Homme n’est qu’une marionnette que Satan domine (« c’est le Diable qui tient les fils qui nous remuent » vers 13) : Satan s’empare de la volonté de l’homme (vers 11 : « le riche métal de notre volonté » qui est « vaporisé »). Le vers 12 montre la puissance de Satan qui peut vaporiser du métal. De plus, on retrouve le plaisir chez Satan avec l’oreiller qui y fait référence. L’emphase « c’est Satan qui » souligne de nouveau l’attrait du Mal, c’est Satan qui dirige l’homme, et non dieu.3. Des vices mortels L’homme n’a pas le courage de ses vices et cela est visible grâce à l’accumulation de vices du premier vers « la sottise, l’erreur, le péché, la lésine ». Les péchés sont personnifiés (vers2, vers 5). Le vers 2 « occupent et travaillent nos corps » montre des péchés dangereux. En effet, ici « occupent » est synonyme d’assiéger et « travaillent » nous renvoie à l’étymologie de ce mot trepalium qui était un instrument de torture. La comparaison « comme les mendiants nourrissent leurs vermines » (vers 4) montre que les hommes acceptent et ont de la complaisance pour ces vices -> allitération en « m » et en « i ». Les vices grouillent donc dans nos cerveaux. Cette idée est renforcée par la métaphore vers 22 « Dans nos cerveaux ribote un peuple de démons », les vices sont comparés à démons qui font la fête joyeusement et nous dirige. Dans les vers 29-32, on retrouve des allégories des vices sous forme d’animaux. Baudelaire montre que le pouvoir destructeur de l’homme et ses vices nombreux, sont ralentis par sa lâcheté qui l’empêche d’aller jusqu’au bout de ses fantasmes morbides « Si le viol, le poison, le poignard, l’incendie, / N’ont pas encore brodé de leurs plaisants dessins / Le canevas banal de nos piteux destins / C’est que notre âme, hélas! n’est pas assez hardie. » (vers 25 à 28). II. Un tableau de la condition humaine 1. Un homme Hypocrite Les hommes rentrent « gaiement dans le chemin bourbeux » (= le destin) (vers 7), ils acceptent donc sans le Spleen. Ils ont une attitude hypocrite. Image de débauchés : plaisir clandestin. Comparaison « sein martyrisée » (vers 18) avec « vieille orange » (vers 20). L’amour est déprécié, associé à la misère et à la pauvreté -> Hypocrisie dans l’attitude de l’Homme. « Tu le connais, lecteur » (vers 39) -> dénonce la fuite des hommes qui refusent leur destiné. « Hypocrite lecteur » (vers 40) -> chacun de nous est concerné 2. Un Homme faible Baudelaire nous montre un homme faible. En effet, le champ lexical du vice et des péchés est omniprésent : « péchés », « lâches », « débauché », « volons », « clandestin », « viol ». Baudelaire nous montre ici une réalité cachée de l’homme : l’homme est corrompu. De plus, l’Homme est déshumanisé, il n’est pas maître de son corps « c’est le Diable qui tient les fils qui nous remuent » (vers 13) « chaque jour vers l’Enfer nous descendons d’un pas » (vers 15). On a donc l’image d’un homme sans volonté et dominé par le Mal. Cette volonté est caractérisée par un lexique laudatif « riche métal », tel une pierre précieuse, qui contraste avec l’importance de sa disparition. Dans le vers 5 « Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches », l’homme est incapable d’arrêter de commettre des péchés et ses repentirs ne permettent pas de laver ces péchés => Référence à la religion et à l’hypocrisie de la confession. Baudelaire met en avant le manque de courage de l’homme « notre âme, hélas! n’est pas assez hardie » (vers 28).3. Un ennemi universel : l’Ennui L’Ennui est le principal ennemi de l’Homme. Tout le poème est construit de manière à amener l’ennui qui arrive de façon dramatique. En effet, Baudelaire parle de l’Ennui dès le début de la neuvième strophe mais le mot « ennui » n’est prononcé qu’à la strophe suivante, la dernière du poème (vers 37). Cela crée un effet de suspens. La tournure « Mais parmi » (vers 29) accentue la monstruosité de l’Ennui ; parmi les sept autres animaux repoussants, il est le pire. Les accumulations créent un effet de cascade accentué par la juxtaposition d’adjectifs (vers 33). La tournure de présentation « Il en est un » (vers 33) pousse le lecteur à la curiosité. Au vers 33, l’ anaphore de « plus » et la gradation, basée sur la longueur des mots et leur sens, « plus laid, plus méchants, plus immonde » dramatise l’Ennui. Il est donc représenté comme un monstre silencieux qui « ne pousse ni grands gestes, ni grands cris » (vers 34) mais capable de « faire de la terre un débris » (vers 35). L’Ennui « rêve d’échafaud » (vers 37), il a donc des envies meurtrières et sanglantes, ce qui renforce son atrocité. III. Un poème en forme de préface 1. Un pacte avec le lecteur Le pronom personnel « nous » est utilisé dans tout le poème. On ne connait qu’à la fin qui il désigne grâce au « tu » et « mon » de la dernière strophe. Le « tu » arrive avec une certaine brutalité qui risque de déplaire à celui-ci. Le groupe nominal « Hypocrite lecteur » marque une provocation, mais également une sorte de complicité avec le poète qui montre qu’il connaît le lecteur et peut ainsi se permettre cette familiarité. Baudelaire dresse donc un tableau de sa propre condition mais aussi de celle du lecteur. Pour adoucir ses propos, il crée un rapprochement avec ce lecteur hypocrite au vers 40 « mon semblable, mon frère ». L’idée de fraternité est d’habitude retrouvée dans le Bien et le bonheur ici, on la retrouve dans le Mal. On retrouve donc ici l’idée d’universalité du Mal. L’auteur s’adresse au lecteur dans tout le poème. Le titre « Au Lecteur » fait du poème une sorte de dédicace à ce lecteur. Ce poème étant le premier du recueil, Baudelaire montre son esthétique nouveau et présente les thèmes qui seront traité dans le recueil, notamment le Spleen.2. La modernité de Baudelaire : sa violence poétique Baudelaire donne des images crues, il a des propos violents, on relève le champ lexical de la pourriture, dévoré, rongé par les vices, le spleen, « vermine », « vers qui rongent », « helminthes ». Il y a un mélange de plusieurs genres de langues, grandiose et idéal et spleen. On relève aussi des oxymores (violence antithétique et figures d’opposition). La poésie est donc une déchirure entre le spleen et l’idéal mais aussi une réconciliation par les oxymores. Annonce d’une modernité par l’usage d’un vocabulaire courant (« vieille orange”) qui choque avec un vocabulaire ancien (« catin » = mot antique, « helminthe », « trismégiste »). Conclusion Ce poème est une véritable préface à l’entreprise des Fleurs du mal, Il annonce certains thèmes qui seront abordés dans la suite du recueil : la Mal, le spleen. Cette préface propose une vision pessimiste de l’homme, ce qui éclaire le titre Les Fleurs du mal, Si vous avez aimé cette analyse de Au lecteur de Charles Baudelaire, vous aimerez aussi les analyses des poèmes suivants :
Comment Baudelaire voit le monde ?
La distinction de deux réalités : la matière et l’Idéal – Pour Baudelaire, le monde n’est pas que matière, Il comporte aussi une dimension spirituelle, À retenir Deux réalités différentes coexistent : l’une est d’ordre matériel, l’autre relève de l’Idéal. Détail de L’École d’Athènes, Platon désigne le ciel (allégorie du monde des Idées), Raphaël, 1511, fresque, 5 × 7,7 m, Rome Cette conception du monde n’est pas sans rappeler la philosophie de Platon qui repose sur la distinction entre deux réalités :
une réalité concrète, apparente, perçue par nos sens ; et une réalité abstraite, du domaine des idées, que nous appréhendons par l’intelligence.
Avec l’allégorie de la caverne, Platon illustre cette théorie : les hommes y sont présentés comme des prisonniers qui prennent pour la vérité les ombres projetées devant eux sur la paroi de la caverne ; le philosophe est celui qui parvient à sortir de la caverne et à accéder directement à la vérité.
Comment présenter les fleurs du mal au bac ?
“Les Fleurs du mal” : comprendre pourquoi cette œuvre a fait scandale – Ce qu’il faut d’abord retenir de ce recueil de poésie, c’est son impact sur la société. “Il a fait un énorme scandale en 1857 : il y a eu un procès et six poèmes ont été censurés”, rappelle la professeure.
Pour bien présenter l’œuvre, il faut donc comprendre “pourquoi on ne supporte pas ces textes à l’époque”. “Ces poèmes sont jugés offensants pour la morale, résume Sonia Arbaretaz. Baudelaire choisit des thèmes qui n’avaient jamais été abordés en poésie”. La notion de laideur est beaucoup utilisée par la professeure,
“La laideur physique et morale, mais aussi la laideur matérielle dans la misère.” À travers elle, “Baudelaire montre le côté obscur de Paris à cette époque”. L’enseignante vous conseille de choisir des extraits qui vous ont marqué pour présenter cette laideur aux examinateurs.
Quelle image Baudelaire Donne-t-il de la beauté dans ce poème ?
Hymne à la beauté – Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l’abîme 1, Ô Beauté ! ton regard, infernal et divin, Verse confusément le bienfait et le crime, Et l’on peut pour cela te comparer au vin. Tu contiens dans ton œil le couchant et l’aurore ; Tu répands des parfums comme un soir orageux ; Tes baisers sont un philtre et ta bouche une amphore Qui font le héros lâche et l’enfant courageux.
- Sors-tu du gouffre noir ou descends-tu des astres ? Le Destin charmé suit tes jupons comme un chien ; Tu sèmes au hasard la joie et les désastres, Et tu gouvernes tout et ne réponds de rien.
- Tu marches sur des morts, Beauté, dont tu te moques ; De tes bijoux l’Horreur n’est pas le moins charmant, Et le Meurtre, parmi tes plus chères breloques 2, Sur ton ventre orgueilleux danse amoureusement.
L’éphémère 3 ébloui vole vers toi, chandelle, Crépite, flambe et dit : Bénissons ce flambeau ! L’amoureux pantelant incliné sur sa belle A l’air d’un moribond 4 caressant son tombeau. Que tu viennes du ciel ou de l’enfer, qu’importe, Ô Beauté ! monstre énorme, effrayant, ingénu ! Si ton œil, ton souris 5, ton pied, m’ouvrent la porte D’un Infini que j’aime et n’ai jamais connu ? De Satan ou de Dieu, qu’importe ? Ange ou Sirène, Qu’importe, si tu rends, – fée aux yeux de velours, Rythme, parfum, lueur, ô mon unique reine ! – L’univers moins hideux et les instants moins lourds ? Charles Baudelaire – Les Fleurs du mal Vocabulaire : 1 abîme : gouffre, grande cavité 2 breloque : bijou de faible valeur 3 éphémère : insecte dont l’adulte ne vit qu’un seul jour 4 moribond : sur le point de mourir 5 souris : sourire Jeanne Duval, dessinée par Baudelaire Annonce des axes I. L’ambivalence de la beauté 1. Un système d’antithèses 2. Une beauté divine et satanique à la fois II. La fascination pour la beauté 1. Une beauté sensuelle 2. Le pouvoir de fascination 3. Un hymne à la beauté III. La soumission du poète à la beauté 1. La beauté : une fleur du mal 2. Une soumission à la beauté 3. Mais une soumission salvatrice Commentaire littéraire I. L’ambivalence de la beauté Ambivalence : qui peut avoir deux sens, deux interprétations 1. Un système d’antithèses Baudelaire a recours à de nombreuses antithèses tout au long du poème pour évoquer la beauté : – “ciel profond” / “abîme” – “infernal et divin” – “le bienfait et le crime” – “le couchant et l’aurore” – etc. Ces antithèses ont aussi pour but de montrer que la beauté est tout, est partout dans le monde (exemple : “Tu contiens dans ton œil le couchant et l’aurore”). Cela se voit également dans “tu gouvernes tout”.2. Une beauté divine et satanique à la fois Baudelaire emploie le champ lexical du divin et du satanique, bien souvent en mettant les deux en antithèse, Champ lexical du divin : “ciel”, “divin”, “astres”, “Dieu”. Champ lexical du satanique : “abîme”, “infernal”, “gouffre noir”, “enfer”, “Satan”. Les antithèses sont généralement associées à des notions de bien et de mal, comme le divin et le satanique (“infernal et divin”, “le bienfait et le crime”.). Ainsi, le poète s’interroge sur l’origine et la nature de la beauté : émane-t-elle du bien ou du mal ? D’ailleurs, cette interrogation ouvre le poème : “Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l’abîme”. Puis les interrogations se répètent plus loin dans le poème : “Sors-tu du gouffre noir ou descends-tu des astres ?”, “De Satan ou de Dieu ?”. Dans ce poème le bien et le mal semblent indissociables, Dans la construction du poème, cela se voit par le fait qu’ils forment soit un hémistiche chacun (“Viens-tu du ciel profond / ou sors-tu de l’abîme”), soit ils sont réunis dans un même hémistiche de 6 syllabes : “infernal et divin”, “le bienfait et le crime” Ainsi, la beauté est insaisissable car elle regroupe les notions contraires de bien et de mal. II. La fascination pour la beauté 1. Une beauté sensuelle La beauté est représentée comme une belle femme, sensuelle : “Tu répands des parfums”, “Tes baisers sont un philtre et ta bouche une amphore”, “jupons”, “tes bijoux”, “fée aux yeux de velours”. Le vocabulaire utilisé est élogieux, et parfois presque érotique, Ainsi, Baudelaire représente la beauté sous les traits d’une femme : la beauté est personnifiée => c’est une allégorie de la beauté,2. Le pouvoir de fascination Baudelaire semble comme fasciné par la beauté, comme un homme est fasciné par une femme dont il est amoureux, Le terme “amoureusement” est d’ailleurs employé au vers 16 et “amoureux” au vers 19. Rappelons que ce poème est dédié à Jeanne Duval, dont Baudelaire était très amoureux. La beauté fascine également par son aspect monstrueux. Ainsi Baudelaire fait un rapprochement de la beauté et du monstrueux, comme un oxymore : “Ô Beauté ! monstre énorme, effrayant”. Ces rapprochements inhabituels montrent la modernité poétique de Baudelaire.3. Un hymne à la beauté Tout le poème est écrit comme un hymne à la beauté, Baudelaire s’adresse directement à la beauté. Il la tutoie “Viens-tu”. Il interpelle la beauté “Ô Beauté”. De nombreuses phrases exclamatives montrent l’admiration et l’enthousiasme du poète pour le beauté. Baudelaire utilise le champ lexical de la lumière pour désigner la beauté : “ébloui”, “chandelle”, “flambeau”, “lueur”. De même, Baudelaire utilise un vocabulaire élogieux, en particulier dans la dernière strophe : “Ange ou Sirène”, “fée aux yeux de velours”, “ô mon unique reine !”. Le mot “unique” montre à quel point la beauté est précieuse aux yeux de Baudelaire. La beauté concerne tous les sens : la vue (“regard”, “œil”, “ébloui”.), l’odorat (“parfums”), le toucher (“baisers”), le gout (“bouche”), l’ouïe (“Crépite”, “Rythme”). Notons dans le premier hémistiche du vers 27 une accumulation de mots faisant référence à ces sens : “Rythme, parfum, lueur”. III. La soumission du poète à la beauté 1. La beauté : une fleur du mal Tout d’abord, nous pouvons voir que la beauté est associée à l’idée de la mort, comme le montre le champ lexical de la mort (“crime”, “moribond”, “morts”, “tombeau”). Cela est particulièrement visible au vers 13 “Tu marches sur des morts, Beauté, dont tu te moques” dans lequel les mots “morts” et “Beauté” sont répartis de part et d’autre de la césure La beauté peut être fatale, comme le montrent les vers 17 et 18 : “L’éphémère ébloui vole vers toi, chandelle, / Crépite, flambe et dit : Bénissons ce flambeau !”. Ainsi, l’éphémère (insecte dont l’adulte ne vit qu’un seul jour) meurt sous la flamme de la beauté, et semble en tirer du plaisir (“Bénissons ce flambeau”). La beauté n’a pas de morale, elle fait indifféremment le bien et le mal : “Tu sèmes au hasard la joie et les désastres”, “tu ne réponds de rien”. L’ allitération en dans “le Meurtre, parmi tes plus chères breloques, / Sur ton ventre orgueilleux danse amoureusement” montre la dureté de la beauté lorsqu’elle fait le mal. Ainsi, la beauté est bien une fleur du mal.2. Une soumission à la beauté L’idée de soumission à la beauté est clairement émise dans le vers “Le Destin charmé suit tes jupons comme un chien”. L’adjectif “charmé” montre que la soumission est due au pouvoir de séduction de la beauté, comme Baudelaire est soumis à la belle Jeanne Duval. L’adjectif “charmé” peut également être pris dans le sens de “envouté”. De même, dans “L’amoureux pantelant incliné sur sa belle”, l’adjectif “incliné” montre l’idée de soumission. Et dans “mon unique reine”, nous avons l’idée d’un sujet soumis à sa reine.3. Mais une soumission salvatrice Le poète ne juge pas la beauté selon si elle fait le bien ou le mal, comme le montre la répétition de “qu’importe” associé à une antithèse faisant référence au bien et au mal (“Que tu viennes du ciel ou de l’enfer, qu’importe”, “De Satan ou de Dieu, qu’importe ? Ange ou Sirène, / Qu’importe”). Ainsi, Baudelaire veut montrer que l’origine de cette beauté importe peu, ce qui compte est le résultat : le plaisir de la beauté, Dès la deuxième strophe, nous pouvons voir que la beauté a un pouvoir sur le poète : “Tes baisers sont un philtre”, un philtre étant une potion généralement préparée par les sorciers et destinée à inspirer l’amour. La beauté a le pouvoir d’inverser les règles : “font le héros lâche et l’enfant courageux”. On note ici un parallélisme de construction. La beauté permet au poète de découvrir de nouvelles choses auparavant inconnues : Baudelaire la compare au vin qui enivre (vers 4), et aux vers 23-24 “m’ouvrent la porte / D’un Infini que j’aime et n’ai jamais connu”. La beauté permet ainsi de se délivrer de l’ennui, le spleen baudelairien, et d’accéder à l’éternité (“Infini”, placé en rejet), Le poème se termine sur la conclusion que la beauté améliore le monde, et permet de résister au spleen : “tu rends L’univers moins hideux et les instants moins lourds”, Conclusion Dans cet Hymne à la Beauté, Baudelaire montre sa modernité en associant à la beauté, non seulement les images traditionnelles du bien, mais aussi et surtout les images nouvelles du mal, du monstrueux. Cette beauté monstrueuse lui permet de s’extirper du spleen et du temps qui passe. Si vous avez aimé cette analyse de Hymne à la Beauté de Charles Baudelaire, vous aimerez aussi les analyses des poèmes suivants :
Qu’est-ce que l’esthétique baudelairienne ?
Baudelaire : une esthétique de la modernité – Claude Stéphane PERRIN A. Prologue “Avant de rechercher quel peut être le côté épique de la vie moderne, et de prouver par des exemples que notre époque n’est pas moins féconde que les anciennes en motifs sublimes, on peut affirmer que puisque tous les siècles et tous les peuples ont eu leur beauté, nous avons inévitablement la nôtre.
Cela est dans l’ordre.” La modernité est inséparable d’une constellation d’autres concepts qui la contredisent sans qu’elle puisse se trouver au centre d’une possible constellation rassemblant tous les concepts suivants : l’antique, le médiéval, le renaissant, le contemporain, l’actuel, le neuf, le nouveau Pourquoi ? D’abord parce que les créations culturelles d’une époque sont inséparables de multiples influences anciennes, parfois récurrentes, qui font également surgir de multiples nouveautés.
Ensuite, parce que, dans son sens étymologique, moderne signifie ce qui est récent, et pas seulement ce qui succède au Moyen Âge ou à la Renaissance. Enfin parce que le moderne ne se borne pas à l’actuel ; il répond aussi à l’ancien et s’ouvre sur l’inactuel, donc sur l’éternel.
Concernant Baudelaire (1821-1867), en quoi sa modernité nous concernerait-elle encore aujourd’hui ? Notre monde postmoderne n’aurait-il pas remplacé les valeurs de l’humain par celles des sciences, des techniques, tout en déployant un insatiable et violent désir de possession, de communication abstraite ou virtuelle, de domination, d’exploitation et de consommation ? Sans doute.
Mais il n’est peut-être pas pertinent de penser l’actuel en oubliant l’inactuel, l’historique en faisant fi des repères permanents que créent la Nature (naturante, infinie), la Morale (qui inspire l’injonction d’être juste à l’égard de tous les hommes) et les sociétés (dans leur ouverture possible sur de nouveaux avenirs).
- Dans cet esprit, Baudelaire nous permet d’entrevoir que l’ère postmoderne n’est peut-être pas la vérité de notre présent et pas davantage de notre avenir.
- Comment ? Sans doute en découvrant que ce poète s’est situé dans le cadre d’un sentiment religieux qui, hors de toute théologie ou révélation, se reconnaissait dans une optique humaine tournée vers des valeurs universelles, plutôt que vers celles, judéo-chrétiennes, de la prime culpabilité de tous les hommes.
En fait, plus précisément, dans son article sur la modernité, Baudelaire a associé sa propre affirmation singulière d’une modernité à la fois actuelle et inactuelle. Alors, il ne sépare pas sa dérisoire présence dans ce monde des misères particulières de son époque.
- Dans les deux cas, en effet, il s’agit pour lui de voir comment le mal, la bêtise, la finitude et l’éphémère ne sont pas des épreuves définitivement incrustées dans un moment historique, car ce dernier contient également une part d’éternité et d’inactuel.
- Cela implique, pour Baudelaire, de donner un sens à la modernité de son époque (et à lui-même ainsi qu’à son œuvre) sans en nier les tensions les plus éphémères, notamment en s’opposant à la bêtise de l’actuel, sans doute parce que cette bêtise est alors, selon les mots de Deleuze, ” une manière basse de penser.” Dans cet esprit, pour être ouvert et moderne, l’éphémère et le dérisoire sont transfigurés : “Il s’agit de dégager de la mode ce qu’elle peut contenir de poétique dans l’historique, de tirer l’éternel du transitoire.” Cette épreuve de la modernité se situe ainsi au cœur d’une tension singulière, très humaine sans nul doute, solitaire et rêvée, qui refuse d’en rester au “plaisir fugitif de la circonstance”, c’est-à-dire à la médiocrité ou à la vulgarité des situations fugaces d’une époque et d’une singularité seulement dominée pas la sottise d’une pensée collective.
Cependant, il n’est pas aisé de concevoir si, pour Baudelaire, la modernité se situe plutôt dans sa tension vers l’éternel que dans ses fondements transitoires, puisque l’éternel et l’éphémère sont pour lui entrelacés, donc inséparables, la force de l’un faisant peut-être rayonner la faiblesse de l’autre, tout comme en un bref instant surgi dans l’éternité.
Par exemple, l’habit d’une époque ne devrait jamais être démodable ; or cela est possible si cet habit contient une “beauté mystérieuse () si minime ou si légère qu’elle soit.” En conséquence, dans sa critique de l’art, comme dans sa poésie, Baudelaire aime se mettre au cœur des tensions de son époque tout en soulignant l’importance de son vécu très singulier qui oscille entre des pôles contradictoires.
Il a ainsi écrit Les Fleurs du mal dans la fureur et dans la patience, car cette tension était l’essence même de la conception de sa propre existence. Au-delà de Pascal qui méprisait le singulier, son imaginaire a sans doute eu pour fin de donner un sens supérieur à sa misère terrestre, du reste commune à tous les hommes.
De plus, la modernité qui émerge de son époque sait bien que le pouvoir de refus de l’éphémère ne parvient pas à une victoire définitive sur les contingences de l’existence. La forte lucidité de Baudelaire élargit alors le champ actuel de ses possibles, admet la nature inextricable du réel, tout en restant rapportée au ciel immobile, lointain et éternel de l’idéal.
C’est alors sans doute dans cet esprit que le poète a, en un aphorisme devenu célèbre, imaginé un rapport vif et singulier entre l’éphémère et l’éternel : “La modernité, c’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable.” En tout cas, pour Baudelaire, la modernité ne s’oppose pas à l’antiquité ou au Moyen Âge, car elle est la recherche de la plus complète synthèse authentique du nécessaire et du contingent : “Cet élément transitoire, fugitif, dont les métamorphoses sont si fréquentes, vous n’avez pas le droit de le mépriser ou de vous en passer.
En le supprimant, vous tombez forcément dans le vide d’une beauté abstraite et indéfinissable, comme celle de l’unique femme avant le premier péché.” Cela implique que l’homme est alors reconnu dans sa grandeur, même inachevée, hors de toutes les formes préétablies, donc en excluant le formalisme de l’art pour l’art ainsi que le naturalisme positiviste qui se fixe sur des faits isolés, bruts, inhumains.
La vérité de la nature et de l’homme est donc ailleurs. Elle se trouve sans doute dans l’inextricable entrelacement de la fugacité et de la permanence, de la solitude et de la communion. Et la même double postulation est imaginée par le poète entre Dieu et Satan, l’homme et l’ange, l’azur lumineux et le gouffre ténébreux Le dualisme baudelairien est ainsi à la fois métaphysique et existentiel, car il affirme une constante tension entre le matériel et le spirituel.
- L’âme exilée du poète vit en effet au cœur des cruelles épreuves de son corps décadent.
- Meurtrie, elle n’atteint ni Dieu ni Satan.
- Égarée, misérable, elle rêve de grandeur.
- Tantôt elle se détruit, tantôt elle s’attache à la vie.
- Comment équilibrer ces tensions ? Baudelaire cherche alors son chemin dans quelques fictions, notamment dans celles de l’histoire de l’art où rayonnent ses modèles préférés : Delacroix lui paraît exemplaire à cet égard ; Goya est plus effrayant, violent et hallucinant,
Le critique, comme le poète, aime en tout cas les profondeurs inquiétantes des uns et les tragédies des autres où l’homme se dédouble, entre Ciel et Enfer, Spleen et Idéal, élévation et chute. D’une part, son désir de modernité, né du Spleen et de l’ennui, nourrit son imaginaire qui n’en finit pas d’espérer vainement, d’autre part il se donne des formes nouvelles, un autre corps, et fait ainsi vibrer d’imprévisibles passions.
- Ou bien son grand dégoût de la vie se transforme pour raviver son âme qui attise alors son élan créateur afin d’entrevoir, ici et là, quelques correspondances, quelques synthèses possibles Cette double postulation de l’âme vers l’Idéal et vers l’ennui est donc une tension malheureuse qui ne parvient ni à quitter le sol pesant de l’éphémère ni à s’élever assez haut
- B. Une étrange créativité
- Une singulière tension
Le moi créatif de Baudelaire se réalise dans la difficile et paradoxale nécessité d’avoir à être soi-même, c’est-à-dire à devenir autre que ce qu’il avait auparavant constitué empiriquement comme son propre moi, notamment lorsqu’il était dominé par les situations les plus ordinaires, banales, voire médiocres.
- Et cette nécessité à être soi-même s’exprime dans la tension d’un rapport asymétrique entre son moi tendu vers sa propre perfection (son je en quelque sorte) et son moi psychologique multiple, souvent contradictoire, qu’il définit lui-même comme “son pauvre moi” () comme “sa ligne brisée”,
- Pour le dire autrement, cette tension singulière, sans doute en trompe-l’œil, s’effectue entre une visée spirituelle qui recherche une clarté intime, sa propre cohérence, sa responsabilité, sa simplicité et des épreuves sensibles qui déterminent un rapport complexe, passif et souvent inconscient avec la totalité brute du réel.
Les forces du Beau L’art est toujours métaphysique : « C’est l’infini dans le fini». Et jamais il n’atteint l’un ou l’autre, Dieu ou le diable, la terre ou le Ciel. L’imaginaire préfère les Limbes, ce premier titre des Fleurs du mal, La modernité triomphe dans ces échecs.
L’heure infinie, contenue dans les yeux des chats, reste immobile. Sournoise provocation pour l’homme qui n’en finit pas de faire sans finir : « En général, ce qui est fait n’est pas fini, et une chose très finie peut n’être pas faite du tout.» Cette conception de la modernité, pour Baudelaire, accepte le silence de l’inachevé.
Dès lors, les artistes pourront suivre cette voie, sur leur toile ou sur leur marbre. Au reste, la dissonance nourrit l’harmonie lorsqu’elle fonde l’étrange, le bizarre et l’inattendu : « Le beau contient toujours un peu de bizarrerie, de bizarrerie naïve, non voulue, inconsciente, et c’est cette bizarrerie qui le fait être particulièrement le Beau.» Alors surgit le corps nécessaire à l’imaginaire, le tracé impétueux qui exprime une subjectivité, une société, une époque.
Pour Baudelaire, le romantisme actualise ainsi une expression moderne du beau, intime et sensible, héroïque et colorée, dont les fondements spirituels restent classiques : « Qui dit romantisme dit art moderne, – c’est-à-dire intimité, spiritualité, couleur, aspiration vers l’infini, exprimées par tous les moyens que contiennent les arts.» Au cœur du quotidien, fini et inachevé, l’inattendu peut surgir.
Il s’agit parfois d’un détail trivial ou puissant qui vainc les niaises curiosités de l’existence. Ou bien la nostalgie de l’enfance se fait plus forte et provoque quelque ivresse. Et toujours la composition de l’œuvre doit surprendre par son originalité ou par sa vitalité.
Car Baudelaire pense sans doute qu’une création artistique doit refléter l’idiosyncrasie humaine, trop humaine, de son auteur : « Ce qui n’est pas légèrement difforme a l’air insensible – d’où il suit que l’irrégularité, c’est-à-dire l’inattendu, la surprise, l’étonnement sont une partie essentielle et la caractéristique de la beauté.
» Ne cherchons pas quelque anthropocentrisme narcissique dans cette affirmation, car Baudelaire est dualiste. L’image de l’homme renvoie en même temps aux horizons bleuâtres de l’air supérieur et à l’opacité d’un gouffre infernal. Par son refus du péché, l’esthétique de Baudelaire exprime une tension douloureuse entre deux forces excessives et infinies relativement à d’autres.
À la fois classique et romantique, le poète affirme tantôt l’innocence du comique surnaturaliste, du grotesque, c’est-à-dire du comique absolu relativement à l’humanité déchue, et tantôt il souligne les aspects damnables, sataniques, diaboliques, du comique ordinaire et significatif : «Il est dans l’homme la conséquence de l’idée de sa propre supériorité ; et, en effet, comme le rire est essentiellement humain, il est essentiellement contradictoire, c’est-à-dire qu’il est à la fois signe d’une grandeur infinie relativement à l’Être absolu dont il possède la conception, grandeur infinie relativement aux animaux.
C’est du choc perpétuel de ces deux infinis que se dégage le rire.» Moins convulsé, parce que moins naturel, le comique absolu, grave, profond, excessif et innocent, s’ignore lui-même, Le vertige de l’hyperbole résulte d’une création, d’une joie ancrée dans la supériorité de l’homme sur la nature,
- Goya atteint parfois le comique absolu, mais il est surtout fantastique et souvent féroce, effrayant, hallucinant, entre l’homme et la bête,
- Toutefois, pour Baudelaire l’art domine et purifie la laideur, l’horreur et le monstrueux, comme le feu,
- L’idiosyncrasie d’un artiste contient, en réalité, un « je ne sais quoi » qui le pousse à créer, une foi qui l’empêche de douter et une passion qui fonde la reconnaissance des autres.
La «ligne brisée» de chaque moi rejoint alors le courant impérissable de la création artistique. La même force, le même sentiment et la même fidélité à sa propre nature se trouvent chez Delacroix, Constantin Guys, Poe, Goya, Daumier ou Manet. Artiste, Baudelaire comprend d’autres artistes.
- La musique de Wagner lui semble être la sienne, tous ont le même but : « ils ont employé des moyens différents tirés de leur nature personnelle.» C’est d’ailleurs cette nature personnelle qui crée tous les moyens nécessaires.
- Les uns dépendent de l’imaginaire, de sa liberté et de son pouvoir universel, les autres, plus relatifs au tempérament et à la sensibilité, varient à l’infini.
On reconnaît le dualisme baudelairien. L’originalité est corporelle, ultra-sensible pour l’essentiel : « presque toute notre originalité vient de l’estampille que le temps imprime à nos sensations.» L’esthétique reste ainsi tournée vers la modernité, c’est-à-dire vers l’amour de l’éphémère accompagné d’un rêve, plus classique, d’immensité.
Aussi lucide sur lui-même que sur son art. Baudelaire connaît ses limites : « De la vaporisation et de la centralisation du Moi. Tout est là.» Il aime d’ailleurs ces deux mouvements contradictoires qui sont les respirations de la vie. Parfois la tension des nerfs concentre les forces qui se referment sur elles-mêmes afin de mieux se formuler, et souvent le Moi veut être aussi vaste que le monde : « Mon âme me semblait aussi vaste et aussi pure que la coupole du ciel dont j’étais enveloppé ; le souvenir des choses terrestres n’arrivait à mon cœur qu’affaibli et diminué.» Toutefois, cette expansion et cette concentration ne sont pas équilibrées, régulières, prévisibles.
Baudelaire rêve d’un voyage paisible dans le monde beau et ordonné de l’éternité. Mais ses sentiments le poussent plus fortement à s’éprouver et à chercher en dehors de lui-même «le drame naturellement inhérent à tout homme.» Il y a toujours dualité dans le Beau : “C’est ici une belle occasion, en vérité, pour établir une théorie rationnelle et historique du beau, en opposition avec la théorie du beau unique et absolu ; pour montrer que le beau est toujours, inévitablement, d’une composition double, bien que l’impression qu’il produit soit une ; car la difficulté de discerner les éléments variables du beau dans l’unité de l’impression n’infirme en rien la nécessité de la variété dans sa composition.
Le beau est fait d’un élément éternel, invariable, dont la quantité est excessivement difficile à déterminer, et d’un élément relatif, circonstanciel, qui sera, si l’on veut, tour à tour ou tout ensemble, l’époque, la mode, la morale, la passion.” Certes, cette composition double de la beauté, qui produit une seule impression, n’empêche pas qu’une âme, incarnée dans une époque et un tempérament, puisse refléter la tristesse, la mélancolie et la lassitude de la précaire condition de l’homme.
Dès lors que l’absolu paraît absurde, impossible ou bête, les forces de l’âme ne peuvent en effet que s’harmoniser avec tous les malheurs : « Pauvre terre où la perfection elle-même est imparfaite.» En réalité, l’aspect éternel, invariable, absolu, et en même temps ardent et triste de la beauté, est sans doute grandement voilé par son aspect particulier, transitoire, relatif et circonstanciel.
- C. Le surnaturalisme
- Un amour sensuel et rêvé de l’idéal
- “La nuit s’épaississait ainsi qu’une cloison,
- Et mes yeux dans le noir devinaient tes prunelles,
Et je buvais ton souffle, ô douceur ! ô poison ! Et tes pieds s’endormaient dans mes mains fraternelles. La nuit s’épaississait ainsi qu’une cloison.” Le rapport de Baudelaire au monde naturel est complexe, car s’il ne refuse pas un nécessaire accord sensuel avec les êtres vivants (notamment avec les femmes) tout en cherchant à transfigurer cette relation sensible qu’il l’éprouve dans une constante tension entre jouissance et tristesse, perception et rêverie.
Le rapport que Baudelaire instaure avec la nature n’est donc pas, comme Sartre l’a affirmé, “truqué” à force d’être inspecté par une conscience attentive, il est véritablement vécu à partir des lignes et des couleurs d’un monde poétiquement rêvé par des accords qui embellissent les objets ; par exemple un visage de femme est devenu “l’objet le plus intéressant dans la société.” Pourquoi ? Sans doute parce que Baudelaire transforme la mystérieuse jouissance d’une perception en une mystérieuse rêverie qui souffre pourtant de sa propre finitude : “Une tête séduisante et belle, une tête de femme, veux-je dire, c’est une tête qui fait rêver à la fois, – mais d’une manière confuse, – de volupté et de tristesse ; qui comporte une idée de mélancolie, de lassitude, même de satiété, – soit une idée contraire, c’est-à-dire une ardeur, un désir de vivre, associés avec une amertume refluante, comme venant de privation ou de désespérance.” Le poète découvre ainsi une harmonie amère avec des apparences qui n’idéalisent pas totalement le naturel pour deux raisons : d’abord parce que “l’idéal absolu est une bêtise”, ensuite parce que “la nature ne donne rien d’absolu”,
L’idéal féminin est donc réduit à des images qui s’élèvent au-dessus du naturel, notamment lorsque, si l’on utilise des concepts freudiens, la magie d’un fantasme, d’une image refoulée, se fige dans une forme reposante, fascinante, c’est-à-dire idolâtrée : “La femme est bien dans son droit, et même elle accomplit une espèce de devoir en s’appliquant à paraître magique et surnaturelle ; il faut qu’elle étonne, qu’elle charme ; idole, elle doit se dorer pour être adorée.” Ce consentement de la femme au maquillage rend possibles les plus belles sublimations puisque l’idéal visé par Baudelaire n’est qu’un complément esthétique et non académique, donc la transfiguration des réalités naturelles, brutes, informes, en un style singulier, notamment par l’apport expressif de couleurs symboliques ou de lignes harmonieuses : “Ainsi l’idéal n’est pas cette chose vague, ce rêve ennuyeux et impalpable qui nage au plafond des académies ; un idéal, c’est l’individu, reconstruit et rendu par le pinceau ou le ciseau à l’éclatante vérité de son harmonie native.” La problématique esthétique que pose alors Baudelaire sur cet axe de la modernité renvoie à la possible vérité de cette “harmonie native”,
- “Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l’abîme,
- Ô beauté ! ton regard, infernal et divin,
- Verse confusément le bienfait et le crime.
- Et l’on peut pour cela te comparer au vin.”
- L’horreur et l’extase de la vie
Le culte baudelairien des images mélodieuses et amères de l’art pourra-t-il vaincre les longs ennuis morbides et cruels d’une existence aussi vide, plate et morne qu’un désert ? Le spleen, ce monstre délicat ou ce fruit d’une morne incuriosité, accompagne en fait les immenses traînées de la misère de chacun.
Au reste, la nature est primitivement “bête” dans sa chair et “cruelle” dans son conflit avec nos rêves. Comment la surmonter ? Et cette révolte existentielle est-elle encore pertinente pour notre postmodernité ? Non, car elle est bien moderne, c’est-à-dire encore éthique et métaphysique. En fait, Baudelaire est affreusement dégoûté, comme un chrétien conscient de sa triste misère, de son âme fêlée et de ses péchés têtus,
Le refus de la laideur, l’horreur de la bêtise et l’aveu de ses propres fautes constituent alors les fondements d’une esthétique du péché que la postmodernité ignore, notamment cette immortelle indignité qui appelle sa rédemption à partir d’une souffrance purificatrice :
- “Car c’est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage
- Que nous puissions donner ne notre dignité
- Que cet ardent sanglot qui roule d’âge en âge
- Et vient mourir au bord de votre éternité ! ”
Plus précisément, cette esthétique moderne du péché refuse paradoxalement le péché. Le Mal est une faiblesse coupable qui se fait pourtant “sans effort, naturellement, par fatalité.” Nul stoïcisme dans cette perspective biblique, car la nature est mauvaise.
Le péché originel l’a marquée au point de la réduire et de la priver de conscience : « Elle contraint l’homme à dormir, à boire, à manger, et à se garantir, tant bien que mal, contre les hostilités de l’atmosphère», Parce que le crime est originellement naturel, cette esthétique du péché refusé préfère fuir dans l’ivresse éphémère des images de l’art.
L’horreur de la nature impose d’ailleurs des abstractions. L’artiste devra donc vaincre de la pesante matière. La sculpture ennuie d’ailleurs lorsqu’elle évoque, brutale et positive, les effets ordinaires du monde perçu. Différemment, la photographie fige sur le métal une fausse exactitude.
Refuge des peintres manqués, il lui faudra « empiéter sur le domaine de l’impalpable et de l’imaginaire, sur tout ce qui ne vaut que parce que l’homme y ajoute de son âme », Et Nadar laissera dans cet esprit le regard de Baudelaire se perdre dans les déserts de l’ennui. Dans ces conditions, l’abstraction définit l’art moderne puisqu’il a décidé de sacrifier certains détails, d’imaginer pour généraliser, de transcender le sordide, de faire comme si tout était possible avec ou sans l’homme,
Certes une esthétique de la modernité n’atteint pas les cimes de l’idéal, mais rien ne les condamne : « L’enthousiasme qui s’applique à autre chose que les abstractions est un signe de faiblesse et de maladie.» Dès lors, les artifices de l’art ouvrent une voie nouvelle et indifférente aux laideurs de la nature.
Au-delà du simple maquillage, créateur d’unité colorée, le culte des images produit alors la jouissance de la découverte de nouvelles apparences : «Très jeunes, mes yeux remplis d’images peintes ou gravées n’avaient jamais pu se rassasier», L’anti-naturalisme de Baudelaire résulte en fait de son dualisme.
D’une part son âme se fige et se meurt devant « le spectacle ennuyeux de l’éternel péché», D’autre part ses sensations, bêtes et laides, épuisent son corps. Toutefois d’autres sentiments sont possibles. Tout n’est pas donné. Il manque l’essentiel : l’abstraction qui purifie les sensations, l’esthétique, le plaisir du beau : “Glorifier le culte des images (ma grande, mon unique, ma primitive passion) “,
Car l’imaginaire n’oublie pas les premières expériences, amorales et cruelles, toujours étonnantes, bouleversantes et naïves de l’enfance : «Tout enfant, j’ai senti dans mon cœur deux sentiments contradictoires : l’horreur de la vie et l’extase de la vie.» Traduisons : l’ennui et la curiosité, le péché et la naïveté, le naturel et l’imprévisible.
L’art sauve en effet Baudelaire en transformant son anti-naturalisme en surnaturalisme, c’est-à-dire en lui permettant de découvrir des relations intimes entre le matériel et le spirituel, c’est-à-dire des correspondances seulement perçues «par des nerfs ultra-sensibles»,
Une existence augmentée Au-delà de ces plaintes, Baudelaire entrevoit une ivresse que Nietzsche aurait nommée dionysiaque. Suprême aventure naïve dans la passion audacieuse, l’expression sincère d’un tempérament trouve sa voie et des moyens pertinents : « Il faut entendre par la naïveté du génie la science du métier combinée avec le gnôti séauton, mais la science modeste laissant le beau rôle au tempérament»,
Sœur du travail journalier, l’inspiration obéit aux lois de la physiologie sans entraver l’ivresse de la contemplation : « Tous ces nuages aux formes fantastiques et lumineuses ces ténèbres chaotiques, ces immensités vertes et roses, suspendues et ajoutées les unes aux autres, ces fournaises béantes, ces firmaments de satin noir ou violet, fripé, roulé ou déchiré, ces horizons en deuil ou ruisselants de métal fondu, toutes ces splendeurs me montèrent au cerveau comme une boisson capiteuse ou comme l’éloquence de l’opium»,
- L’ivresse voile les terreurs du gouffre, allonge l’illimité, nie la temporalité, multiplie l’individualité et les sensations, rajeunit et augmente immensément le sentiment de l’existence,
- Car le vin de la vie et les fêtes de l’art rendent possible la magie suggestive de l’art moderne et pur.
- L’imaginaire aime se déraciner pour mieux produire ses métamorphoses.
Il ignore pourtant le hasard et veut le prendre de vitesse. Envisagée comme une totalité organique, un mécanisme complet ou un monde, l’œuvre d’art ne doit pas trahir son auteur, La main cherche donc à s’harmoniser avec l’imagination et trace, vivement, des arabesques ondoyantes : « Le dessin arabesque est le plus idéal de tous.» Pour incarner, sans maladresse, l’élan créateur, le geste affronte le grand obstacle de la mémoire et de la volonté : l’abus des détails.
- Une rapidité extrême d’exécution, consécutive à une lente conception, témoigne de la crainte d’un affaiblissement de l’énergie créatrice,
- De plus, les forces pourraient se disperser ou s’anéantir dans la matière.
- Il faut conserver le même élan, ni trop particulier, ni trop général, improvisé, impromptu et assuré,
Cette concentration expéditive et sans rupture paraît d’ailleurs tout à fait nécessaire à une esthétique de la modernité transfigurant le fugitif et l’éphémère : « C’est la peur de n’aller pas assez vite, de laisser échapper le fantôme avant que la synthèse n’en soit extraite et saisie ; c’est cette terrible peur qui possède tous les grands artistes et qui leur fait désirer si ardemment de s’approprier tous les moyens d’expression, pour que jamais les ordres de l’esprit ne soient altérés par les hésitations de la main ; pour que finalement l’exécution, l’exécution idéale, devienne aussi inconsciente, aussi coulante que la digestion» L’ivresse et la fureur de ces élans expriment également une certaine innocence.
L’ouvrier s’efface devant la pureté de son intention ou de son âme. La maladresse de Delacroix, certes peu fréquente, vaut mieux que l’idéal du compas, la pire des sottises avec la ligne droite, tragique et systématique. Une œuvre prend ainsi les dimensions et les vibrations du corps de l’artiste qui, avec une grande nervosité, comme chez Constantin Guys, préfigurent la peinture gestuelle des contemporains où il faut en quelque sorte entrer dans le tableau plutôt que de le regarder.
Alors surgissent des images aussi vivantes et agitées que l’homme lui-même, et, dans ce mouvement indéfini, le hasard, que Baudelaire proscrit, apporte malgré tout des couleurs nouvelles pour exprimer quelque innocence : « Plus un tableau est grand, plus la touche doit être large, cela va sans dire ; mais il est bon que les touches ne soient pas matériellement fondues ; elles se fondent naturellement à une distance voulue par la loi sympathique qui les a associées.
La couleur obtient ainsi plus d’énergie et de fraîcheur.» Au reste, dans cette esthétique à la fois mélancolique et exaltée de la modernité, Baudelaire nous donne son image la plus pertinente : celle du dandysme auquel il s’identifie par refus de la société bourgeoise, médiocre et inculte : « Le dandysme est un soleil couchant ; comme l’astre qui décline, il est superbe, sans chaleur et plein de mélancolie.
Mais, hélas ! la marée montante de la démocratie, qui envahit tout et qui nivelle tout, noie jour à jour ces derniers représentants de l’orgueil humain.» L’amour incorrigible du grand conduit Baudelaire à rechercher l’héroïsme de la vie moderne, la poésie épique de Paris et les images ondoyantes, mouvantes, fugitives et infinies de la foule,
- Le dandy incarne l’esthétique de Baudelaire par sa manière désinvolte de paraître et de provoquer l’étonnement.
- Son élégance modérée, teintée de jansénisme, de fierté aristocratique, d’austérité et de subtilité intellectuelle, d’insensibilité vengeresse et héroïque, de pudeur sincère et d’ironie mélancolique, n’est pas un culte narcissique et ridicule.
Son but est plutôt de corriger la nature. Mais la sottise triomphe tout de même. L’aristocratie spirituelle, chancelante et avilie, est condamnée. La femme, «reine des péchés », n’apporte pas de salut possible ; et l’idée grotesque du progrès, diagnostic de la décadence, nous prive de liberté, de responsabilité, et fait triompher le matérialisme,
Il reste pourtant l’autre versant du Beau, l’ardeur concentrée du génie. Baudelaire cite Emerson : «The one prudence in life is concentration ; the one evil is dissipation. » Dans cette voie, les forces de l’imaginaire deviennent plus amples, plus profondes, et renaît une barbarie inévitable et synthétique, celle de l’enfance expliquée, sauvée, formulée : « Le génie n’est que l’enfance retrouvée à volonté, l’enfance douée maintenant, pour s’exprimer, d’organes virils et de l’esprit analytique qui lui permet d’ordonner la somme de matériaux involontairement amassée.» Sur ces rives cesse l’abîme pascalien.
Une âme exilée dans la misère du présent, ballottée de haut en bas sur l’échelle fatale, condense sa mélancolie pour raviver la nostalgie de l’enfance et de l’innocence perdue. Correspondances Baudelaire ne considère pas la nature comme un tout absolu et complet,
- Il ne voit que des individus, c’est-à-dire des fragments dispersés, ni composés, ni mélodieux, que l’imaginaire pourra animer.
- Inspiré par Delacroix, il reprend sa formule : « La nature n’est qu’un dictionnaire ».
- L’âme de ces pages, banales et figées, est ailleurs.
- Comme principe spirituel de totalisation, l’imaginaire défie cette précaire érudition et rend possible l’irréel : « Je voudrais des prairies teintes en rouge et les arbres peints en bleu.
La nature n’a pas d’imagination.» Le fauvisme lui donnera raison. Tout se joue, donc, à l’intérieur de l’individu capable d’oublier la laideur du monde et de créer un autre monde. L’âme s’isole, mais n’ignore pas qu’elle doit s’incarner et se donner d’autres formes.
- Les peintres abstraits sauront respecter cette nécessité vitale et organique : « Un bon tableau, fidèle et égal au rêve qui l’a enfanté, doit être produit comme un monde »,
- Le surnaturalisme de Heine était plus innéiste qu’empiriste.
- Baudelaire préfère l’expérience mystérieuse des couleurs et des lignes, sachant que la nature impose de nombreuses règles au déploiement de l’imaginaire : forme et couleur sont un ; la couleur étant l’accord d’un ton chaud et d’un ton froid.
Le surnaturalisme de Baudelaire crée, en effet, dans les profondeurs inconscientes des sensations, une fusion infinie qui a l’ivresse de l’innocence : « les parfums, les couleurs et les sons se répondent», Comment en apprécier le retentissement ? L’ineffable parle : “Ô métamorphose mystique De tous mes sens fondus en un ! ” Sur l’immense clavier hoffmannien des correspondances, Baudelaire recherche furieusement les expériences où le son se mêle à la lumière, comme si les beautés de la terre correspondaient avec celles du ciel.
- Une fois encore, il rêve d’un tableau abstrait et mélodieux.
- Il suffit de « regarder d’assez loin pour n’en comprendre ni le sujet ni les lignes.
- S’il est mélodieux, il a déjà un sens»,
- Mais, en elle-même, la couleur est toujours harmonie, mélodie, contrepoint,
- Dans les profondeurs mystérieuses de l’infiniment saisissable, la nature perd sa bêtise et sa cruauté.
Derrière l’imperceptible vibre « l’immense analogie universelle». Le principe de l’union de ces relations est donc métaphysique : « Il me semble que toutes ces choses ont été engendrées par un même rayon de lumière et qu’elles doivent se réunir dans un merveilleux concert»,
Baudelaire rêve aux rayons primitifs de la pure lumière, au feu clair qui remplit les espaces limpides, Mais cette clarté est double, transparente comme une eau courante ou bien comme une aube blanche et vermeille, En tout cas, pour Bachelard, la légèreté et la transparence du ciel s’animent vivement dès lors que triomphe le vaste crépuscule : « Dans le mot vaste, la voyelle ɑ est la voyelle de m’immensité.
C’est un espace sonore qui commence en un soupir et qui s’étend sans limite.» Dans l’immense lumière réside le bonheur ou le repos, mais Baudelaire déteste la transparence et la fluidité excessives de la peinture anglaise. Consistante, la couleur primitive doit s’unir à celles du monde.
L’ombre et la lumière deviennent ainsi le vert, fond de la nature, et le rouge qui chante sa gloire, Le noir, « zéro solitaire et insignifiant », apporte le vide, le silence, une profondeur triste, voire désespérée. Il appelle la lumière, le rouge ou le bleu immense, froid, céleste, aquatique. La magie des couleurs fait éclater les certitudes trop rationnelles.
Le jaune, l’orangé et le rouge inspirent aussi bien la joie et la richesse, que la gloire et l’amour, L’extase frivole du rose se fane en gardant son innocente vitalité, et le violet s’éteint en faisant luire ses derniers feux. Toutefois, cette esthétique des correspondances entre les sensations et les émotions obéit à la sensibilité singulière de chaque artiste.
- La couleur pense par elle-même dès lors que le peintre a préétabli une harmonie possible avec certains sujets et qu’il fait ensuite abstraction de ces derniers, pour ne saisir que des accords mélodieux,
- Nul formalisme pourtant, cette musique reste symbolique et laisse dans l’esprit un souvenir profond, essentiel.
La mélodie exprime une âme, un principe d’unification, un tempérament : « Ainsi la couleur de Véronèse est calme et gaie. La couleur de Delacroix est souvent plaintive.» Si la mélodie est l’unité dans la couleur, c’est bien à partir de correspondances entre l’infinité de tons des masses colorées, et l’harmonie qu’éprouve l’âme au souvenir de ces vibrations.
L’esthétique de Baudelaire tient compte de ces abstractions qui envisagent une œuvre d’art à partir de l’écho produit sur l’imaginaire de chaque homme. Les mélodies peuvent changer : le Nord est coloriste, ses rêves émergent de la brume ; les Espagnols sont plutôt contrastés, le Midi est naturaliste Au-delà de ces généralités, l’auteur des Curiosités esthétiques trouve un art pur et moderne dans une soudaine harmonie qui efface les contrastes pour faire surgir des résonances intérieures plus vives, denses et présentes : « la pondération du vert et du rouge plaît à notre âme»,
L’obscur et le lumineux, le calme et la passion, s’harmonisent indéfiniment à partir d’une gamme de tons qui peuvent être crus, vifs, peu variés, La science du contrepoint permet d’ailleurs au vrai coloriste de faire une harmonie de vingt rouges différents,
Le jeu des tons colorés importe alors moins que l’effet qu’il produit. Et l’accord peut être atteint avec des moyens plus réduits : le noir, le blanc et le gris. De Manet à Soulage, nul ne contestera cette nécessité de simplifier pour permettre à l’imaginaire de se déployer plus librement et de conserver son énergie créatrice.
Car la vie des correspondances suppose une certaine continuité, une permanence que lui garantit la mémoire lorsque les souvenirs sont suffisamment mélodieux et harmonieux pour mériter leur conversation. L’âme se nourrit des beautés qui l’élèvent et la purifient : «J’ai déjà remarqué que le souvenir était le grand critérium de l’art ; l’art est une mnémotechnie du beau : or l’imitation exacte gâte le souvenir»,
Il faut que l’âme choisisse ses détails et son horizon, refuse le chic et le poncif, donc simplifie dans le sens de l’ultra-sensible.D. Conclusion L’art pur et la critique Critique, Baudelaire a d’abord recherché la spécificité des différents arts. La peinture est alors pour lui « une évocation, une opération magique» ; la sculpture « solennise tout, même le mouvement ; elle donne à tout ce qui est humain quelque chose d’éternel et qui participe de la dureté de la matière employée» ; la musique élève, enlève, fait monter plus haut, creuse le ciel,
Et la poésie, plus intérieure, « gît dans l’âme du spectateur», Sans doute inhérente aux soubresauts de l’imaginaire, elle surgit à l’insu de l’artiste. Par ailleurs, avant Malraux, Baudelaire, qui a le culte des images, limite la peinture à ses couleurs et à ses formes : “Glorifier le culte des images (ma grande, mon unique, ma primitive passion.” La spécificité de la peinture est donc d’abord formelle, car si c’est bien l’imagination qui coule et qui féconde les diverses énergies créatrices d’un peintre, cette imagination se rapporte à quelques possibles formes définitives ainsi devenues éternelles : “Toute forme créée, même par l’homme, est immortelle.
Car la forme est indépendante de la matière, et ce ne sont pas les molécules qui constituent la forme.” Pourtant, le critique aime ardemment les traces sensibles, émouvantes, audacieuses, informelles, vives, amples, spontanées et naïves de tous les imaginaires plastiques Toutefois, le refus d’empiéter sur un art voisin et le désir de se suffire à soi-même demeurent «dans les limites providentielles».
Car dans sa double volonté moderne d’actuel et d’inactuel, Baudelaire brise les barrières rigides et obscures du matérialisme et du positivisme. Sa conception de l’art pur convient en effet pour toutes les formes de création qui, par des moyens différents, obéissent à l’imagination universelle, à cette faculté souveraine qui rassemble intelligences et volontés.
Au reste, l’art pur est précisément une indéfinissable épreuve créatrice qui efface toutes les limites : « Qu’est-ce que l’art pur suivant la conception moderne ? C’est créer une magie suggestive contenant à la fois l’objet et le sujet, le monde extérieur à l’artiste et l’artiste lui-même.» Dès lors, chaque activité artistique obéit à une double exigence : celle de l’imagination universelle (cette faculté créatrice de pureté et de liberté), et celle de l’intelligence, guidée par l’imaginaire, qui construit le corps spécifique d’une œuvre à partir de moyens contingents.
L’une n’exclut pas l’autre, et cette tension alogique prouve, une fois de plus, que la modernité impose une démarche indéfinie. L’imagination est et n’est pas ce qu’elle produit ; elle rassemble l’analyse, la synthèse, la sensibilité, le sens moral de la couleur, du tracé, des sons et des parfums,
Un jeu de correspondances entre les arts pourra donc ensuite être envisagé à partir d’une source ineffable toujours recherchée : « Je trouve une analogie et une réunion intime entre les couleurs, les sons, les parfums.» L’art pur est ainsi l’affirmation d’une possible unification du matériel et du spirituel projetée sur l’écran morcelé d’une modernité au devenir à la fois incertain et transfiguré.
Certes, l’imagination «a créé, au commencement du monde, l’analogie et la métaphore», mais elle ne peut se réduire aux corps finis et fragmentés qu’elle produit pour mieux les dépasser. Car une âme éclatante vit dans le paroxysme et préfère la dispersion de ses forces dans l’immensité profonde de sa liberté créatrice.
Le désir d’unification reste néanmoins vif et tenace chez Baudelaire. Le Marat assassiné de David exhale pour lui « le parfum de l’idéal » : les forces intimes de l’imaginaire ont ainsi trouvé le corps adéquat à une âme qui «voltige». Ailleurs surgissent d’autres élévations vivifiantes et légères qui ne sont pas toujours comprises par les philosophes, notamment par Sartre lorsqu’il écrit : “Il y a une distance originelle de Baudelaire au monde, qui n’est pas la nôtre ; entre les objets et lui s’insère toujours une translucidité un peu moite, un peu trop odorante, comme un tremblement d’air chaud, l’été.” Pourtant, Baudelaire voit bien clairement et avec légèreté que les fleurs de l’immortalité se joignent aux métamorphoses vitalistes de Cybèle qui « fait couler le rocher et fleurir le désert.» Au-delà de cette expansion et de ces vastes synthèses poétiques naît également un désir opposé de concentration.
La pensée de l’art pur impose alors à l’exigence critique de Baudelaire de tenir compte de sa propre subjectivité, sensible et passionnée, précisément afin d’en modérer les excès. Il lui faut adoucir les contradictions entre l’intériorité et l’extériorité.
D’une manière semblable, pour comprendre l’art, le bourgeois calculateur devra équilibrer, par le sentiment, les forces de son âme. Partiale, passionnée, politique, la critique baudelairienne se réduit donc pour mieux atteindre l’universel. Un point de vue exclusif peut en effet ouvrir sur de nouveaux horizons, car c’est au cœur de la subjectivité que vibre l’imaginaire, la puissance infinie de créer.
Rien de formel donc, mais la sincérité d’un tempérament qui, afin d’interpréter, ne masque ni son indifférence, ni sa haine, et qui sait «deviner beaucoup». Tout Baudelaire se trouve dans la tension excessive de sa subjectivité condamnée à s’exprimer avant de reconnaître d’autres singularités et de pouvoir calmer ses passions : « La haine est une liqueur précieuse, un poison plus cher que celui des Borgia, – car il est fait avec notre sang, notre santé, notre sommeil et les deux tiers de notre amour ! Il faut en être avare !»,
- Certes, Baudelaire crée plus aisément cette magie suggestive de l’art pur à l’intérieur de sa propre poésie.
- Pourtant les différences avec son travail de critique restent formelles.
- La même passion lucide anime en effet Les Fleurs du mal : «J’ai mis toute ma pensée, tout mon cœur, toute ma religion (travestie), toute ma haine.
» Et c’est dans ses Petits Poèmes en prose que son esthétique atteint les cimes de la lucidité. Nul prosaïsme alors, pas davantage que dans Les Fleurs du mal, mais une mélodie libre et nourrie par l’élan indéfini de l’imaginaire, par une mélodie parfois secrète et étouffée, souvent évocatrice et hésitante, souple et vigoureuse, et toujours chargée de significations symboliques, émouvantes et inattendues.
Baudelaire réalise ainsi ses rêves : « Quel est celui de nous qui n’a pas, dans ses jours d’ambition, rêvé le miracle d’une prose poétique, musicale, sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s’adapter aux mouvements lyriques de l’âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ?» Baudelaire, Curiosités esthétiques – L’Art romantique et autres œuvres critiques, Garnier Frères, 1962, Salon de 1846, p.195.
Baudelaire, Curiosités esthétiques, Le peintre de la vie moderne, op.cit., p.466. Deleuze, (Gilles) Nietzsche et la Philosophie, Presses Universitaires de France, Paris, 1967, p.120. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Le peintre de la vie moderne, op.cit., p.466.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques – Le peintre de la vie moderne, op.cit., p.467.
- Baudelaire, Mon cœur mis à nu.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques – Quelques caricaturistes étrangers, p.297.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, op.
- Cit, p.147.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques – Le Musée du Bazar Bonne-Nouvelle, op.cit., p.92.
Baudelaire, Curiosités esthétiques – Salon de 1859, op.cit., p.322. Baudelaire, Ibid, p.341. Baudelaire, Ibid, p.312. Baudelaire Les Fleurs du mal, Au lecteur, Baudelaire, Œuvres, Pléiade, II, p.384. Baudelaire, cité par G. Bachelard, L’Air et les songes, p.222.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1859, op.cit., p.329.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, op.cit., p.119.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Morale du joujou, op.cit., p.203.
- Baudelaire, Les Fleurs du mal, Moesta et errabunda,
- Baudelaire, Les Fleurs du mal, Le Flacon.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Exposition universelle de 1855, op.
cit, p.217. Baudelaire, Ibid, p.237. Baudelaire, Curiosités esthétiques, De l’essence du rire, p.243. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Quelques caricaturistes français, p.281. Baudelaire, Curiosités esthétiques, L’Art philosophique, p.505. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, p.169.
Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1859, p.385. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, p.102. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1859, p.341. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1845, p.61. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Exposition universelle de 1855, p.215.
Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, p.103. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Extraits des journaux intimes (Esthétique et Beaux-arts), p.530. Baudelaire, Curiosités esthétiques, De l’essence du rire, p.254. Baudelaire, Ibid, p.246, 250 et 254.
Baudelaire, Ibid, p.256 et 262. Baudelaire, Ibid, p.258, 254 et 262. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Quelques caricaturistes étrangers, p.296, De l’essence du rire, p.256 et Quelques caricaturistes étrangers,p.297. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Quelques caricaturistes français, p.269 et Quelques caricaturistes étrangers p.298.
Baudelaire, Curiosités esthétiques, Quelques caricaturistes étrangers, p.294. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, p.193 et 194. Baudelaire, Ibid, p.147. Baudelaire, L’Art romantique, Richard Wagner et Tannhauser, p.690. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Œuvre et vie d’Eugène Delacroix, p.424.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Le peintre de la vie moderne, op.cit., p.468.
- Baudelaire, premier feuillet de Mon cœur mis à nu.
- Baudelaire, Œuvres, Pléiade, I, p.487.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1859, op.
- Cit, p.366.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Le peintre de la vie moderne, p.455 et 456.
Baudelaire, Ibid, p.147 et 424. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Extraits des journaux intimes (Esthétique et Beaux-arts), op. cit., p.530. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1845, op. cit., p.74. Baudelaire (Charles), Les Fleurs du mal, XXXVI, Le Balcon,
Sartre (Jean-Paul), Baudelaire, Idées-nrf n°3, 1963, p.27. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Extraits des journaux intimes (Esthétique et Beaux-arts), Ibid, p.530. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, op. cit, pp.147 et 148. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Le peintre de la vie moderne, p.492.
Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, p.149. Baudelaire (Charles), Les Fleurs du mal, Hymne à la beauté, Baudelaire, Les Fleurs du mal, Spleen LX. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1845, p.80 et Le Musée du Bazar Bonne-Nouvelle, p.89.
- Baudelaire, Les Fleurs du mal, La Cloche fêlée,
- Baudelaire, Ibidem, Les Phares,
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Le Peintre de la vie moderne, op.
- Cit, p.491.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Ibid, p.490.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, op.
- Cit, p.188.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1859, op.
cit, p.319. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, op. cit, p.107. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1859, op. cit, p.378. Baudelaire, cité par Sartre, op. cit, p.231. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1859, op. cit, p.326.
Baudelaire, Les Fleurs du mal, Le Voyage, Baudelaire, Curiosités esthétiques, Extraits des journaux intimes (Esthétique et Beaux-arts), op. cit, p.531. Baudelaire, Mon cœur mis à nu, Journaux intimes, Mercure de France, 1938, p.88. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Exposition universelle de 1855, op.
cit, p.240. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, p.101 et 116. Baudelaire, cité par Bachelard, L’Air et les songes, p.222. Baudelaire, Œuvres, Pléiade, II, p.633, I, p.243 et I, p.640. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, op.
Cit, p.117 et Salon de 1859, p.327. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Extraits des journaux intimes (Esthétique et Beaux-arts), op. cit, p.530. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Le Musée du Bazar Bonne-Nouvelle, op. cit., p.89 et Salon de 1846, p.119. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, p.148, Quelques caricaturistes français, p.280 et Salon de 1845, pp.72 et 59.
Baudelaire, Curiosités esthétiques, Le peintre de la vie moderne, op.cit., 471. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1845, p.79, Salon de 1846, pp.116 et 148 et Exposition universelle de 1855, p.239. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1859, p.327.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1859, pp.309, et 364, et Le peintre de la vie moderne, p.485.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1859, p.354, Salon de 1846, p.195 et Le peintre de la vie moderne, p.463.
- Baudelaire, Les Fleurs du mal, Parfum exotique.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Exposition universelle de 1855, p.217 et Salon de 1859, p.316.
Baudelaire, Curiosités esthétiques, Œuvre et vie d’Eugène Delacroix, pp.435 et 441. Baudelaire, Œuvres, Pléiade, I, p.379. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Le peintre de la vie moderne, p.469. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1845, p.14 et Le peintre de la vie moderne, p.462.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, p.148.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1859, p.326.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Le peintre de la vie moderne, p.494.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1859, p.327.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, p.101.
Baudelaire, Ibid, p.107. Baudelaire, Les Fleurs du mal, Correspondances. Baudelaire, Ibid, Tout entière. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Exposition universelle de 1855, p.213. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, p.108. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1845, p.73.
- Baudelaire Curiosités esthétiques, Exposition universelle de 1855, p.210.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, p.109.
- Baudelaire, Les Fleurs du mal, Bénédiction.
- Baudelaire, Ibid, Élévation.
- Baudelaire, Ibid, L’Aube spirituelle.
- Bachelard, La poétique de l’espace, PUF, 1957-1964, p.180.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1859, p.358 et Salon de 1846, p.161.
Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, p.105. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1859, p.327. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Exposition universelle de 1855, p.238. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, p.108. Baudelaire, Ibid, p.104.
Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1859, p.374 et Salon de 1845, p.11. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, p.199. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1845, p.61 et Salon de 1846, p.106. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, p.107. Baudelaire, Ibid, p.197.
Baudelaire, Ibid, p.147. Baudelaire, Ibid, p.148. Baudelaire, Ibid, p.164. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Exposition universelle de 1855, p.217. Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1859, p.384. Baudelaire, L’Art romantique, Richard Wagner et Tannhauser, p.690.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Salon de 1846, p.171.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Extraits des journaux intimes (Esthétique et Beaux-arts), Ibid, p.531.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, Extraits des journaux intimes (Esthétique et Beaux-arts), Ibid, p.532.
- Baudelaire, Curiosités esthétiques, L’Art philosophique, p.504.
Baudelaire, Ibid, p.512. : Baudelaire : une esthétique de la modernité – Claude Stéphane PERRIN
Comment Baudelaire transforme la boue en or dans l’Albatros ?
Selon Baudelaire, le poète se situe, par son art, au-dessus du commun des mortels dont il est incapable de partager la condition humaine. Il doit donc s’exiler, être seul et cette singularité s’est cristallisée dans le symbole de l’albatros. Le poète se dresse donc, seul, face à la boue du monde qui l’entoure.
Quelles figures incarnent le mal la laideur morale dans Les Fleurs du Mal ?
La connotation chrétienne du Satan-Ange déchu s’estompe alors, en même temps que ce qui ressemblerait à une ô combien sulfureuse morale du Mal dans la création baudelairienne.